Dialectique du kitsch. Une lecture de « Kitsch onirique » de Walter Benjamin

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L’art nous apprend à voir dans les choses <.> L’art populaire et le kitsch nous permettent de voir depuis les choses1.

Walter Benjamin, Quelques idées sur l’art populaire.

En janvier 1927, Walter Benjamin publie dans la Neue Rundschau un très court article intitulé « Kitsch onirique » (2000 [1927]). Évoquant tour à tour Novalis, la psychanalyse et le surréalisme, Benjamin souligne que le rêve n’a plus le pouvoir de ravissement qu’il détenait avant l’avènement de la technique moderne. Celle-ci, écrit-il, en « confisqu[ant] définitivement l’image extérieure des choses » (7) — en niant leur unicité —, bloque l’accès à la part de mystère qui repose en elles et rend difficilement praticable le libre exercice du rêve. Or ce libre exercice du rêve favorisait une relation de connivence avec le passé, en ce qu’il y puisait son inspiration ainsi qu’un modèle d’explication du monde. Aussi, en bouleversant notre rapport aux objets, la technique moderne bouleverse notre rapport au rêve et, par ricochet, notre rapport au passé. Reste cependant le kitsch qui, bien qu’il soit une expression (Ausdruk) de la modernité, conserve quelque chose du « monde disparu des objets » (10) et constitue aux yeux de Benjamin l’ultime voie de passage vers le domaine des songes et, donc, vers le passé. Benjamin estime en effet que le kitsch témoigne d’une tension constitutive de la modernité, entre volonté affichée de rupture avec le passé et attachement inavoué à ce même passé. C’est de cette dimension dialectique du kitsch dont je souhaite parler ici, moins pour en retracer les développements historiques — ainsi qu’ont pu le faire Clement Greenberg (1939), Abraham A. Moles (1971) ou Christophe Genin (2007) — que pour en exposer les ressorts critiques. Car, si l’on suit les réflexions de Benjamin, on peut concevoir le kitsch comme une ressource heuristique, c’est-à-dire comme un outil permettant d’entrevoir ce qui se terre sous la surface apparemment insignifiante des menues choses qui nous entourent.

1. Du rêve à l’histoire, et inversement

« Kitsch onirique » s’ouvre sur une référence au Henri d’Ofterdingen de Novalis (1997 [1802]). Considéré comme l’un des sommets de la littérature romantique allemande (Muzelle 2016, 13), ce roman inachevé raconte les pérégrinations d’un jeune troubadour — Henri von Ofterdingen —, qui quitte sa ville natale pour rejoindre Augsbourg et qui, sur place, s’ouvre à la poésie et tombe amoureux de la jeune Mathilde. Si l’ouvrage de Novalis a acquis une telle réputation au fil des décennies (Muzelle 2016, 13), c’est notamment parce qu’on lui attribue la paternité d’une expression aujourd’hui bien connue, celle de la fleur bleue (die blaue Blume). Figurant certes l’amour d’Henri pour Mathilde, cette fleur bleue incarne surtout la fusion du rêve et de la réalité (Schefer 2013, 113). En effet, le héros de Novalis aspire tout au long de son voyage à atteindre une forme de plénitude, d’union pleine et entière avec le monde qui l’entoure. Il s’en approchera, notamment, lors d’une halte dans une auberge :

Dans l’âme d’Henri se reflétait la féérie de cette soirée. Il avait l’impression que le monde reposait en lui, grand ouvert, et lui découvrait comme à un hôte familier tous ses trésors et ses grâces secrètes. Comme il semblait facile à comprendre, le grandiose et simple spectacle qui l’entourait! (Novalis 1997 [1802], 139)

Écrit en réaction au classicisme du Wilhelm Meister (Goethe 2020 [1795-1796]) — auquel Novalis reconnaît nombre de qualités, mais qui lui semble incapable de mener à bien l’entreprise spirituelle et poétique de l’idéalisme romantique (Novalis 1966, 322-323; Franco 2019, 26-27) —, Henri d’Ofterdingen se veut donc un ouvrage empreint de mysticisme, dans lequel l’intuition (Anschauung) dispose de toute chose et où, selon un vers mainte fois commenté2 : « Le monde devient rêve, le rêve se fait monde » (Novalis 1997 [1802], 219).

Or, si cette conception des rapports entre le rêve et la réalité a longtemps prévalu dans la culture allemande — inspirant peintres (Allert 2003, 285-287) et poètes (Malinowski 2003, 160-161) —, Benjamin constate qu’elle n’existe plus, désormais, que sous une forme dégradée (2000 [1927], 7). De fait, là où le sujet prémoderne jouit d’un monde dans lequel les croyances religieuses admettent largement l’existence du mystère et du surnaturel — et ce, malgré une opposition croissante vis-à-vis de ces croyances à partir de la seconde moitié du XVIIe siècle —, le moderne, lui, doit composer avec un univers au credo autrement prosaïque (Weber 2014 [1919], 83-84), qui s’il n’interdit pas formellement le libre exercice du rêve, le rend nettement plus suspect. Comme il le dira plus tard de « l’art de conter », Benjamin estime en effet que la capacité à s’extraire de l’agitation quotidienne est « en train de se perdre » (2000 [1936], 115); d’une part en raison de l’évolution des formes esthétiques — lesquelles ont eu tendance, selon lui, à délaisser l’évocation du passé au profit de la représentation du présent (2013 [1939], 1015-1016) —, d’autre part en raison de l’avènement de la technique moderne (2000 [1939], 277-279). S’il n’est pas question ici d’un déterminisme strict, il n’en reste pas moins que la lecture benjaminienne du rêve passe par une étude des pressions qu’exerce l’infrastructure sur la superstructure (Allerkamp 2010, 68-69; 70-71). Empruntant au matérialisme historique3, Benjamin pense effectivement que la base productive d’une société informe l’ensemble de ses institutions. Étant toutefois plus proche du Georg Lukács d’Histoire et conscience de classe (1960 [1922]) que de Franz Mehring ou de Gueorgui Plekhanov4, il refuse de voir dans la superstructure la simple réflexion (Abspiegelung) de l’infrastructure et considère plutôt les produits culturels comme l’expression (Ausdruk) — forcément approximative — des dynamiques économiques qui organisent une société (2009 [1982], 409-410)5. Pour comprendre le rêve, Benjamin croit donc qu’il est nécessaire de faire l’analyse du mode de production économique auquel il est lié. Car, de son point de vue, toute expérience onirique appartient à un contexte social déterminé (36)6; non pas en tant que reflet — ou que traduction idéologique —, mais comme incarnation des aspirations d’une collectivité (36).

On s’étonnera peut-être, pourtant, de ce que Benjamin accorde autant d’importance au rêve dans le cadre d’une réflexion sur le kitsch. Après tout, le rêve appartient selon lui à un monde en perte de vitesse (2000 [1927], 7-8) — du moins à un monde qui n’est plus tout à fait le sien —, tandis que le kitsch est un phénomène résolument moderne, fruit de l’industrialisation et de la massification (2000 [1927], 7-8). Par ailleurs, si le rêve paraît n’avoir qu’un lien superficiel avec le réel, le kitsch, lui, s’inscrit de plain-pied dans le « monde des choses » (Moles 1971, 78-79), étant à la fois produit et agent du procès capitaliste de production. Or « le rêve, écrit Benjamin, participe [aussi] à l’histoire » (2000 [1927], 7); d’abord parce qu’il est le moteur de certains grands évènements historiques (2000 [1927], 7) — tels que des guerres et des découvertes scientifiques —, ensuite parce qu’il a incarné l’un des principaux repoussoirs des sciences et de la technique moderne. De fait, le rêve — en tant que tendance à l’irréalité, à l’imagination et à la sentimentalité — est ce contre quoi se sont notamment dressées les Lumières (Engel 2003, 43-44) et la raison instrumentale (Horkheimer et Adorno 2015 [1944], 24-25; 27-28). Portés par l’agitation révolutionnaire qui secoue l’Europe au tournant du XIXe siècle, les idéaux d’autonomie, de progrès et de liberté sont certes liés à la chose politique (Cottret 2002, 10-11); toutefois, ils concernent également les arts, la culture et le savoir (Stenger 2015, 100-101) et ont pour finalité l’avènement d’une civilisation (Kultur) enfin débarrassée de ses illusions (Weber 2014 [1919], 84-85).

Or, malgré son refoulement progressif, le rêve, soutient Benjamin, demeure un ressort essentiel des sociétés européennes (2009 [1982], 408). Certes, il n’a plus forcément l’ascendant métaphysique et politique dont il pouvait bénéficier avant le développement des sciences et de la technique moderne — du moins en apparence (Benjamin 2009 [1982], 408)7; cependant, il n’en continue pas moins d’agir sur les phénomènes humains, quoique de façon plus indirecte, presque cachée (406-407; 563). Ainsi, c’est le rêve, affirme Benjamin, qui s’impose à nous lorsque nous posons notre regard sur un jouet pour enfant — et que nous revivons, l’espace d’un instant, un souvenir de jeunesse (2012 [2000], 62) —, et c’est lui, également, qui s’empare de nous quand nous nous lançons dans la collection de livres anciens ou de timbres rares —, et que nous cultivons, par le fait même, un certain rapport au passé et à son imaginaire (2009 [1982], 221-222). Évidemment, si le champ d’action du rêve se limitait désormais aux seuls domaines de la mémoire individuelle ou du passe-temps, l’intérêt critique de son interprétation serait pour le moins restreint; seulement, Benjamin pense que c’est encore le rêve qui préside largement à la raison moderne (59) et qui, par le fait même, s’insinue dans l’ensemble des sphères d’activité humaines. Il estime, par exemple, que les conceptions modernes du temps — qu’elles soient positiviste, historiciste ou marxiste — empruntent à des schémas d’inspiration téléologique, ce qui les conduit à concevoir l’histoire comme une totalité close, exempte de toute discontinuité (Benjamin 2000 [1940], 438-439; 441-442). Ce faisant, elles reconduisent une dynamique propre au rêve, qui consiste à sublimer le réel, c’est-à-dire à en donner une représentation idéalisée. Semblablement, en défendant le caractère d’évidence de ses institutions — en faisant d’elles des réalités « naturelles » —, le capitalisme emprunte à l’activité onirique sa tendance au simulacre et à l’artifice (Benjamin 2009 [1982], 408).

Voilà pourquoi, du reste, Benjamin pense qu’une « étude historique » du rêve pourrait permettre d’« ouv[rir] une brèche décisive dans la superstition d’une détermination naturelle des phénomènes humains » (2000 [1927], 7). En effet, lorsque le rêve occupait une place prééminente dans les sociétés européennes, il était plus difficile d’envisager le caractère historique des institutions qui réglaient ces sociétés. On pouvait sans doute considérer que certains phénomènes humains étaient soumis à la marche du temps, et qu’ils admettaient donc une relative indétermination (cf. Mondot 2012)8; du reste, nombre de médiations sociales étaient conçues comme des réalités qui, pareilles aux lois de la nature, s’imposaient nécessairement aux individus et auxquelles, pensait-on, il était préférable de se conformer (Binoche 2013, 226-227). Or donc, si le rêve continue d’agir sur les phénomènes humains, mais qu’il le fait de façon plus équivoque, il devient nécessaire de mettre sur pied de nouveaux moyens de le débusquer, c’est-à-dire des moyens qui ne soient pas ceux de l’Aufklärung — laquelle a échoué face à la puissance et à la ruse dont est capable le mythe (Mythos) — et qui prennent au sérieux les formes les plus modestes de l’activité humaine (Benjamin 1980 [1966], 225). Et c’est en cela que réside le potentiel heuristique du kitsch selon Benjamin; car, en étant l’un des principaux dépositaires des espoirs et des aspirations des sociétés européennes de la seconde moitié du XIXe siècle, il contient quantité d’informations sur les ressorts oniriques de ces sociétés et sur celles, surtout, qui les ont suivies. Partant, il constitue l’objet d’étude tout désigné pour qui cherche à dévoiler, puis à dépasser les contradictions — économiques, politiques et conceptuelles — que porte en elle la modernité. Autrement dit, en permettant de lutter contre la réification à laquelle participe le rêve, l’étude du kitsch favorise non seulement une déprise d’avec une vision mythique de l’histoire et de la nature, mais elle invite aussi à un engagement plus actif des êtres humains, c’est-à-dire à une opération de (re)prise de pouvoir sur le monde des choses.

2. D’une économie l’autre

Ainsi la chaise ne servait-elle point à s’asseoir, mais à manifester esthétiquement sa présence9.

Sándor Márai, Les confessions d’un bourgeois.

Le célèbre essai de Benjamin « L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique » (2000 [1939]) prolonge la réflexion sur les déterminations économiques du kitsch. L’introduction du concept d’aura permet notamment de mettre en exergue l’aspect social de l’art (Detue 2012, n.p.). Ayant d’abord pour finalité la tenue d’un culte — religieux durant l’Antiquité et le Moyen Âge, esthétique à partir de la Renaissance —, les œuvres, soutient Benjamin, étaient investies d’un pouvoir d’évocation qui les distinguait radicalement de tout autre objet produit par l’activité humaine (2000 [1939], 280). Ce pouvoir, précise-t-il, tenait avant tout à leur unicité et masquait largement l’infrastructure sur laquelle elles reposaient (276). L’avènement de la technique moderne, au cours de la seconde moitié du XIXsiècle, va faire voler en éclats les prérogatives cultuelles dont jouissaient jusque-là les œuvres d’art. Pouvant désormais être reproduites à une vitesse et avec une exactitude absolument remarquable, elles se voient en effet privées de l’originalité qui faisait leur pouvoir d’évocation et qui leur octroyait un supplément d’âme (281), ce que Benjamin désigne par le concept d’aura. Or par le fait même, elles donnent à voir la part sociale dont elles sont indissociables et sans laquelle elles ne sauraient avoir de signification ni ne sauraient produire d’effets sur le monde (282). De fait, Benjamin ne considère pas le déclin de l’aura comme un phénomène purement négatif (Detue 2012, n.p.); il y voit également une occasion de prendre conscience du caractère collectif de tout objet culturel, de même qu’une chance de dévoiler les dynamiques internes d’un mode de production déterminé. De là l’intérêt critique du kitsch, qui dans la mesure où il procède de l’avènement de la technique moderne — et donc du déclin de l’aura —, offre un point de vue privilégié sur le monde social moderne.

Car, comme le souligne Abraham A. Moles, c’est avec l’émergence de ce que Benjamin nomme la « reproductibilité technique » que le kitsch apparaît et que l’accès aux biens de consommation cesse d’être réservé à la seule classe dominante (1971, 82-83). Avant l’apparition de la machine à vapeur, il était bien entendu possible de produire certains objets en série, voire d’en standardiser quelques-uns (Bancaud 2017, 73; Detue 2012, n.p.); or, cela supposait, d’une part, un savoir-faire qui n’était pas toujours facile à acquérir ou à transmettre et, d’autre part, une organisation du travail et des circuits de distribution qui étaient à la portée de peu d’artisans. Si, comme le fait notamment Hermann Broch, on ajoute à ces considérations économiques des enjeux plus strictement idéologiques — ainsi des « idéaux ascétiques du puritanisme calviniste » et de l’importance accordée à la vertu par la Révolution française (1985 [1955], 315) —, on comprend pourquoi l’avènement du kitsch était largement inenvisageable jusqu’au début des années 1860-1870. La reproductibilité technique, elle, rend non seulement possible cet avènement, mais elle favorise en outre une diminution importante des coûts de production (Bancaud 2017, 73-74; Dondero 2007). Couplée à l’expansion coloniale qui touche l’Afrique et l’Asie du Sud durant la seconde moitié du XIXe siècle (Wahl et Moles 1969, 107), elle permet également de produire, puis de diffuser une quantité absolument inouïe de marchandises, ce qui là encore favorise un abaissement général des coûts de production et donc des prix de vente.

Or c’est à cette époque, constate Christophe Genin, qu’un segment du monde ouvrier et des petits commerçants commencent à avoir un certain capital à leur disposition (Genin 2007, n.p.). N’ayant évidemment pas les moyens financiers de la grande bourgeoisie — ou de l’aristocratie —, mais cherchant tout de même à se distinguer du prolétariat (Moles 1971, 79), cette classe moyenne en devenir va trouver dans le kitsch le parfait moyen d’assurer son existence culturelle et symbolique. C’est elle, en effet, qui va en faire un marqueur identitaire fort, et c’est elle, surtout, qui va l’investir de ses espoirs et de ses aspirations (Bancaud 2017, 74-75; Detue 2012, n.p.). De fait, ce sont quantité d’objets bon marché, aux formes et aux couleurs souvent tape-à-l’œil — parce que destinés, précisément, à asseoir et à célébrer la réussite d’un monde et d’une classe en pleine ascension (Coquio 2005, 311; Genin 2007, n.p.) — qui vont envahir les grands magasins des capitales européennes ainsi que les intérieurs de nombreux appartements (Bancaud 2017, 75; Wahl et Moles 1969, 108). Au moment où Benjamin se lance dans l’étude du kitsch, ce dernier n’est toutefois plus que l’ombre de lui-même. Certes, le kitsch a très tôt été associé au mauvais goût et à l’inauthenticité (Genin 2007, n.p.); néanmoins, il faut attendre le tournant du XXe siècle — et la montée du néo-romantisme et de l’Art nouveau (Jugenstil) — pour qu’il soit considéré comme un phénomène véritablement médiocre (Wahl et Moles 1969, 119), — succédané d’une culture et d’un art que les développements économiques et techniques ont dévoyés. Ceci étant dit, Benjamin suggère que c’est cet écart d’avec la première actualité du kitsch qui permet à ses contemporain·e·s et à lui d’en appréhender tout le potentiel critique (2009 [1982], 51-52; 881)10; d’abord parce qu’un tel écart était nécessaire pour que la teneur de vérité (Wahrheitshehalt) que renferme le kitsch accède à son entière intelligibilité; ensuite parce que l’influence historique du kitsch concerne finalement moins le XIXsiècle que le XXe. Car, si c’est au cours du premier qu’il apparaît, c’est avec le second, affirme Benjamin, qu’il conquiert réellement sa place de modèle au sein du champ culturel (2009 [1982], 37, 41; 2000 [1939], 272-273), non pas tant en raison de sa popularité, mais parce qu’il incarne exemplairement ce qu’est alors la production et la consommation d’objets culturels (2000 [1939], 270, 284-285; 2000 [1927], 10). En d’autres termes, c’est parce que le kitsch se déploie dans le temps, et qu’il devient un objet du passé — récent —, que son analyse acquiert une puissance heuristique déterminante pour le présent.

3. La révolution surréaliste

Benjamin soutient que ce sont les surréalistes qui ont été les premier·ère·s à prendre réellement conscience du potentiel critique du kitsch (2000 [1927], 8-9). En effet, il estime que leur production artistique témoigne d’une grande sensibilité vis-à-vis des phénomènes oniriques (9), auxquels ils·elles reconnaissent, ajoute-t-il, un pouvoir de révélation tout à fait étonnant (10). S’inscrivant en cela dans la continuité des thèses de la psychanalyse, — laquelle s’est employée à démontrer l’étendue de la force pulsionnelle que concentrent les rêves (cf. Freud 2010 [1900]), — les surréalistes, affirme Benjamin, ont toutefois pris le parti des choses plutôt que celui de l’âme (2000 [1927], 10). De fait, la psychanalyse — freudienne — considère avant tout la dimension individuelle du rêve et s’efforce, par son interprétation, d’approcher les soubassements affectifs du sujet (Anzieu 1988 [1959], 38-39). S’ils·elles ne contestent pas le bien-fondé de cette démarche — dont ils·elles se sont même largement inspiré·e·s (Mijolla 2013 [2002], 1757) —, les surréalistes, explique Benjamin, s’attachent en revanche d’abord à rendre présente (darstellen) la composante onirique qui couve sous les menus objets du quotidien (2000 [1927], 8-9). C’est le cas d’Aragon dans Le paysan de Paris :

Il y avait des objets usuels qui, à n’en pas douter, participaient pour moi du mystère, me plongeaient dans le mystère. J’aimais cet enivrement dont j’avais la pratique, et non pas la méthode. Je le quêtais à l’empirisme avec l’espoir souvent déçu de le retrouver (1968 [1926], 142-143).

Or Benjamin pense que ces objets entretiennent une relation privilégiée avec ce qu’il nomme un « rêve du collectif » (träumende Kollektiv) (2009 [1982], 174); aussi est-ce par leur truchement que, selon lui, les surréalistes ont pris connaissance de la fécondité heuristique du kitsch (9-10) et qu’ils·elles ont pu, par exemple, prétendre dévoiler la signification secrète des passages parisiens et des rues de la capitale française.

Benjamin évoque par ailleurs un long passage du Manifeste du surréalisme (2000 [1924]) dans lequel Breton soutient la nécessité de soustraire le dialogue aux « obligations de la politesse » (47, cité dans Benjamin 2000 [1927], 9). D’après ce dernier, la politesse contraint les interlocuteur·rice·s à taire ce qu’il y a d’instinctif en eux·elles et à ne laisser s’exprimer que ce qui est immédiatement relié au sujet dont ils·elles discutent (Breton 2000 [1924], 47). Or il en résulte, affirme Breton, un appauvrissement de la conversation elle-même, laquelle se trouve pour ainsi dire amputée de sa dimension créative, et réduite à sa seule fonction de communication (2000 [1924], 47). C’est dire, avance Benjamin, tout le potentiel critique qui réside dans le plus anodin des malentendus (2000 [1927], 9); car, estime-t-il, ce dont témoigne un malentendu, c’est de la part collective — et donc historique — dont le sujet est malgré lui porteur et qui, s’il acceptait de la laisser se déployer pleinement, modifierait de beaucoup sa perception du monde. Or c’est cette « part vivante du dialogue », avance encore Benjamin, qui figure sans doute le mieux l’aspect proprement subversif que recèle l’approche surréaliste de l’ordinaire (2000 [1927], 9), puisqu’en valorisant ce qui est couramment considéré comme illogique ou insignifiant, elle offre la possibilité d’entrevoir toute une série de non-dits et de sous-entendus autrement révélateurs; bref, elle permet de déborder les faux-semblants qui affectent habituellement le langage et qui, par extension, informent le réel.

Deux ans après la publication de « Kitsch onirique », Benjamin a fait paraitre dans la Literarische Welt un long article ayant pour titre et objet « Le Surréalisme » (2000 [1929]). Prolongeant les travaux qu’il mène depuis quelques années au sujet de la littérature française, il y expose également ce qui lui semble être la plus « surprenante [des] découverte[s] » du surréalisme, à savoir la mise au jour du rapport souterrain qui unit les objets démodés ou vieillissants à la révolution (119). Benjamin croit en effet que les surréalistes sont les découvreur·euse·s des « énergies révolutionnaires qui se manifestent dans le “suranné” » (119) et qui, quand elles sont correctement appréhendées, ouvrent sur des horizons de pensée et de vie largement insoupçonnés. Pour Benjamin, surtout, les surréalistes ne se contentent pas de révéler la part de subversion que portent en eux certains des objets que l’on tient pour désuets; « ils font [aussi] exploser la puissante charge d’“atmosphère” que recèlent ces [mêmes] objets » (120), en s’efforçant notamment de remettre en cause les usages et les interprétations qui en sont faits habituellement.

C’est ce type d’opérations, écrit Benjamin, que l’on retrouve par exemple dans le travail pictural d’un Max Ernst, lorsque celui-ci se propose de mettre en images « Répétitions » d’Eluard (1994 [1926]) et que, pour ce faire, il se sert des ressources expressive et analytique du collage (Benjamin 2000 [1927], 8). En effet, le collage permet non seulement de réunir en une même œuvre des éléments de diverses natures et de valeurs esthétique et sociale fort éloignées, mais il favorise en outre la production de formes et de représentations nouvelles (Rialland 2015, 105-106), c’est-à-dire de modes de sémiotisation de la réalité qui se distinguent de ceux qui avaient cours jusque-là et qui bousculent les habitudes de pensée les mieux ancrées. Semblablement, Benjamin considère que l’écriture syncopée d’Aragon dans Le paysan de Paris (1968 [1926]) sublime l’impression de délabrement et de vétusté qui se dégage du passage de l’Opéra, car elle montre « comment la misère […] architecturale, la misère des intérieurs, les objets asservis et asservissants, basculent dans le nihilisme » (2000 [1929], 120) :

[N]os cités sont ainsi peuplées de sphinx méconnus qui n’arrêtent pas le passant rêveur, s’il ne tourne vers eux sa distraction méditative, qui ne lui posent pas de questions mortelles. Mais s’il sait les deviner, ce sage, alors, que lui les interroge, ce sont encore ses propres abîmes que grâce à ces monstres sans figure il va de nouveau sonder (Aragon 1968 [1926], 20).

Or c’est en s’attaquant à cette misère aussi insidieuse que violente — misère à laquelle participe alors largement le kitsch — que les surréalistes pensent qu’il est possible d’encourager un esprit de révolte chez leurs contemporain·e·s (Breton 2000 [1924], 26-27). Pour eux·elles, seul ce travail de sape — littéraire, plastique, symbolique, etc. — peut effectivement venir à bout de l’esprit petit-bourgeois qui s’attache au monde des choses et qui, par sa force d’entrainement et de contagion, maintient la classe laborieuse dans une manière d’attentisme, voire de résignation (48). Benjamin compare d’ailleurs la démarche des surréalistes à la propagande par le fait des anarchistes de la fin du XIXe siècle (2000 [1929], 127), lesquel·le·s cherchaient eux·elles aussi à provoquer un sursaut salvateur au sein du prolétariat (Préposiet 2002 [1993], 390). Cette comparaison est sans doute excessive et tient certainement d’une forme de fascination pour les réalisations des surréalistes11; toutefois, elle dit bien la radicalité — et aussi l’équivoque — du geste que Benjamin prête à ces dernier·ère·s et qui consiste donc à travailler au démantèlement de ce qu’il désigne, après Marx et Lukács12, par le terme de fantasmagorie (2009 [1982], 683). Par là, il vise la forme onirique dont se pare la société bourgeoise afin de refouler son caractère marchand (2009 [1982], 683) et de ne pas apparaître — aux yeux des dominant·e·s aussi bien que des dominé·e·s — comme une société foncièrement inégalitaire.

Si Benjamin fait allusion à différentes œuvres dans le cadre de ses réflexions sur le kitsch, c’est Nadja (1996 [1964]) de Breton, qui retient le plus son attention. Il considère en effet que le traitement des thèmes de la ville et de l’architecture y est particulièrement exemplaire de ce dont l’étude du kitsch est capable, dans la mesure où celui-ci rompt avec le charme que suscite ordinairement la fréquentation d’un lieu et de ses bâtiments, afin de montrer comment ce même lieu affecte les individus qui s’y rendent plus ou moins couramment (2000 [1929], 122). Ainsi, lorsque Breton évoque Paris, Benjamin affirme qu’il emprunte ses méthodes au « roman de colportage », lequel s’emploie moins à rendre la « banale évidence » des éléments qu’il dépeint qu’à rappeler leur « intensité originelle », en indiquant par exemple à quels évènements ou à quelles figures historiques ils font initialement écho (2000 [1929], 122). Or ce faisant, son livre donne à voir ce qui, sous le vernis de l’habitude et du sens commun, constitue la trame même du monde dans lequel il évolue, à savoir les écheveaux de rêve du passé. Concrètement, cela conduit Breton à adopter un « ton » qui s’apparente à celui de l’« observation médicale » — style sobre, syntaxe peu complexe, termes simples, etc. — et à inclure des photographies à divers endroits dans son livre (1996 [1964], 8). Ce dispositif littéraire et visuel, s’il atteste du caractère éminemment moderne de Nadja (Henninger 2015, 125), en fait également un ouvrage dont les ambitions esthético-politiques ne sont pas réellement en phase avec les injonctions du champ littéraire français des années 1920-1930 (Bandier 1999, 17-27). Car, en plus de signaler l’opposition de Breton aux conventions romanesques de son époque (Bandier 1999, 14-17; Vrydaghs 2012, n.p.) — conventions encore largement dominées par le rationalisme et le psychologisme du siècle précédent (Chénieux-Gendron 2014, 24-27) —, la rencontre du texte et de l’image témoigne d’une volonté de rompre avec le culte petit-bourgeois de la belle apparence (Reynaud Paligot 2007, 125-126). En somme, au lieu de prétendre à la re-présentation (Vorstellung) d’un Paris mythifié et triomphal, Nadja cherche à accomplir la présentation (Darstellung) d’une expérience contrastée des rues de la capitale française.

 

4. Sur le cas Schridde

Leur amour du bien-être, du mieux-être, se traduisait le plus souvent par un prosélytisme bête : alors ils discouraient longtemps, eux et leurs amis, sur le génie d’une pipe ou d’une table basse, ils en faisaient des objets d’art, des pièces de musée13.

Georges Perec, Les choses. Une histoire des années soixante.

Si, dans ses réflexions sur le kitsch, Benjamin s’intéresse surtout aux œuvres de ses contemporain·e·s14, j’estime que des œuvres plus tardives peuvent également être interprétées à partir de ces réflexions. Je pense ici notamment à des productions iconographiques des années 1950 et 1960, parmi lesquelles on trouve plusieurs créations publicitaires — affiches, films, objets promotionnels, etc. —, que l’on regroupe aujourd’hui parfois sous le terme de rétrofuturisme15. Recouvrant un très large spectre de phénomènes culturels, le rétrofuturisme se distingue d’abord par son caractère contrasté (Guffey 2014, 254), ni tout à fait nostalgique, ni tout à fait tourné vers l’avenir. Ainsi n’est-il pas rare que les œuvres rétrofuturistes fassent montre de scepticisme vis-à-vis de certaines orientations de la science moderne, bien qu’elles conservent intacte — ou presque — leur confiance envers les promesses du progrès technique. Par ailleurs, le rétrofuturisme se fait volontiers le relais, dans le champ culturel, des aspirations politiques et économiques du monde occidental d’après-guerre (Guffey et Lemay 2014, 436-437), auquel il renvoie une image empreinte de sérénité et d’abondance. Comme le souligne Guffey, il s’agit enfin moins d’un mouvement artistique cohérent et structuré — comme avaient pu l’être les futurismes italien et russe — que d’une « sensibilité » esthétique et morale diffuse (2014, 254).

L’entrée dans ce que l’économiste Jean Fourastié (1979) a appelé les « Trente Glorieuses »16 n’est d’ailleurs pas étrangère à la montée du rétrofuturisme. Car en donnant un élan tout à fait inédit à la production industrielle et à la consommation (168-173; 221-222), ces années de prospérité économique ont non seulement permis un accroissement généralisé du niveau de vie (49-50); mais elles ont aussi favorisé des développements techniques et scientifiques notables (209-211; 232). C’est à cette époque, en effet, que d’importantes avancées seront effectuées dans les secteurs de l’agroalimentaire (213-220), de l’industrie pharmaceutique (226) et de l’automobile (227). Le caractère laudatif de la locution forgée par Fourastié ne doit toutefois pas faire croire à un monde entièrement pacifié17; que ce soit sur le plan social (cf. Fressioz et Jarrige 2016 [2013]) ou environnemental (cf. Bonneuil et Frioux 2016 [2013]), nombre d’évènements témoignent même du contraire. En France, ce seront notamment la guerre d’Algérie et Mai 68; aux États-Unis, le mouvement des droits civiques et l’opposition à la Guerre du Viêt Nam. Qui plus est, les Trente Glorieuses concernent surtout, voire exclusivement, les sociétés occidentales (cf. Pessis 2016 [2013]), lesquelles ont donc certes gagné en confort et en bien-être, mais sans que cela ne les préserve entièrement des bouleversements et des tensions qui affectent le reste du globe. D’où un mélange d’enthousiasme et de fébrilité dans plusieurs productions culturelles de cette période (Guffey 2014, 256); car, malgré une confiance renouvelée envers l’avenir — après le difficile épisode de la Seconde Guerre mondiale —, des inquiétudes demeurent quant à la suite du monde, du fait par exemple de la guerre froide et des mouvements de décolonisation de l’Afrique et de l’Asie (Pessis 2016 [2013], 139-140). Cela étant, il n’en reste moins pas que le rétrofuturisme des années 1950 et 1960 a produit une représentation globalement positive de son présent et de son futur, loin de ce que fera le cyberpunk quelque vingt ans plus tard (Cavallaro 2000, 9-11).

Les premiers travaux du peintre et photographe américain Charles Schridde (1926-2011) sont de parfaites illustrations de la sensibilité rétrofuturiste. En effet, Schridde offre des représentations résolument triomphales du monde dans lequel il évolue — en l’occurrence, celui des États-Unis de Kennedy —, à mi-chemin entre l’image d’Épinal et le panneau publicitaire. Fort de son savoir-faire en matière de design industriel et de photographie, il réalise des œuvres dont la composition allie la lisibilité à l’élégance et qui vantent la réussite et le confort matériel (Kosareff 2005, 60-65). Une de ses œuvres, datée de 1960 et représentant un paysage urbain au crépuscule, en est un bel exemple, avec ses constructions hautes et vitrées, ses grands espaces bétonnés et sa longue autoroute. L’ensemble témoigne non seulement du goût de Schridde pour la ville — lieu par excellence de la modernité (cf. Simmel 1989 [1903]) —; mais il souligne en outre son intérêt pour le domaine des arts appliqués. De fait, plusieurs de ses travaux ont d’abord été publiés dans des journaux et des périodiques — comme le Time et le Life Magazine —, où ils servaient notamment à faire la promotion de divers biens de consommation. C’est le cas d’une série publicitaire qu’il a réalisée entre 1961 et 1963 pour le compte de Motorola, sur laquelle figure diverses représentations de la maison du futur (Kosareff 2005, 60-65). Là encore, on constate que l’ambition de Schridde — et de ses commanditaires — n’est pas de dépeindre fidèlement la réalité, mais plutôt de projeter sur elle les espoirs et les fantasmes d’une société en pleine expansion, la société de consommation. D’ailleurs, si les produits de Motorola sont souvent placés au centre des réalisations de Schridde, ils n’en constituent pas pour autant le motif principal; car, ce qui est à vendre, ici, c’est surtout un style de vie (lifestyle), une manière de penser et de se comporter, dont la concrétisation est plus que douteuse, mais qui n’en agit pas moins sur son destinataire, le·la futur·e acheteur·euse.

Ainsi donc, si nous suivons les réflexions de Benjamin sur le kitsch, nous pouvons considérer les travaux de Schridde comme autant de capsules temporelles. Tout du moins pouvons-nous être tentés d’y voir des réceptacles de rêves semblables aux objets kitsch. Or ce qui nous autorise, me semble-t-il, à effectuer pareil rapprochement, ce sont d’abord les dynamiques historiques dans lesquelles viennent s’enchâsser les productions culturelles dont nous discutons. Ici comme là, en effet, on constate que ces productions ont partie liée avec des moments de grands bouleversements économiques; dans le cas des objets qui intéressent Benjamin, il s’agit de la poussée industrielle de la deuxième moitié du XIXe siècle et de la montée de la petite bourgeoisie; dans celui des travaux de Schridde, il s’agit des Trente Glorieuses et de l’avènement de la société de consommation. À nouveau, il n’est pas ici question de rabattre le culturel sur l’économique; ce à quoi les réflexions de Benjamin sur le kitsch nous invitent, c’est plutôt à éclairer les correspondances latentes qui existent entre certaines productions culturelles et certains phénomènes historiques. De là, finalement, la nécessité d’interpréter ces productions, c’est-à-dire de prendre à revers leur apparente normalité — contre l’impression de vacuité ou de banalité qu’elles nous laissent ordinairement —, et de faire émerger la matière onirique qu’elles renferment.

Prenant appui sur certains travaux de Walter Benjamin, j’ai cherché à mettre ici en exergue la dimension dialectique du kitsch. Il m’a semblé que ses travaux en fournissent une interprétation particulièrement juste, en ce qu’ils s’efforcent de rendre compte des tensions qui sont inhérentes à ce dernier. Ainsi, à la différence d’un Herman Broch ou d’un Theodor W. Adorno18, Benjamin ne considère pas seulement les caractères marchand et esthétiquement médiocre du kitsch; il souligne aussi son potentiel heuristique, en rappelant l’ambiguïté de ses déterminations économiques, et en montrant comment son étude permet d’approcher les ressorts oniriques des sociétés européennes modernes. De fait, l’objectif des analyses benjaminiennes du kitsch est moins de poser un jugement définitif sur ce dernier que d’œuvrer à son dépassement (Aufhebung). D’ailleurs, si je n’ai fait ici qu’effleurer certains des textes dans lesquels Benjamin évoque le kitsch19, c’est parce qu’au-delà de leur intérêt herméneutique et de leur composante théorique, c’est surtout le geste que ces textes opèrent qui me parait véritablement porteur. En effet, ce à quoi Benjamin nous invite, c’est à (re)penser notre relation à la production culturelle de masse; d’abord dans le but d’en mieux saisir les implications pratiques et idéologiques, ensuite parce qu’il y voit le lieu d’une lutte à mener contre la domination bourgeoise. L’idée n’est certes pas nouvelle, et elle a connu, depuis, de très nombreuses variations20; or, il y a dans l’entreprise interprétative de Benjamin une alliance de probité philologique et de sens historique qui le conduit à poser un regard sagace sur les objets qu’il étudie. Aussi, plus encore qu’une méthode ou qu’un parti pris exégétique, c’est une forme d’attention aux choses qui se dégage des analyses benjaminiennes du kitsch et qui explique sinon leur actualité, du moins leur ampleur de vues.

 

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Pour citer cet article: 

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