Présentation: Nord/Sud

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Nord/Sud.

Au premier coup d’œil, la barre oblique qui sépare les deux mots évoque une opposition antithétique. Est au nord ce qui n’est pas au sud, et inversement. Pôles diamétralement opposés, tous deux situent un point, une chose ou un être, sur un territoire. Tantôt absolus, tantôt relatifs selon le contexte, le Nord et le Sud existent alors dans un rapport d’exclusivité mutuelle qui découpe l’espace en deux sans possibilité de réconciliation, dans un rapport fait d’oppositions et de contrastes.

Mais, à y réfléchir, la barre oblique peut aussi désigner le point de jonction qui, certes, sépare les deux lieux mais les rapproche également, sous la forme mythique de la frontière. Réelle ou fictive, celle-ci met les territoires en contact et exprime l’irréductible lien entre les espaces qui ne sont jamais seulement juxtaposés. À ce titre, elle appelle paradoxalement à être traversée, dans un effort de dépassement des bornes arbitrairement imposées et généralement transmises de générations en générations, lequel tend ultimement vers une réunion, un embrassement des choses et des êtres.

Cette double dialectique est fréquemment mise en mots et en images dans les arts. Leitmotiv littéraire, la séparation, la division des lieux, et, partant, des personnes, constitue un thème majeur de la littérature, qui l’accompagne parfois d’un questionnement réflexif, en filigrane, sur ce qu’est l’écriture de l’espace : comment et par quels moyens de forme et de contenu la littérature peut-elle fixer? délimiter? Ce questionnement une fois posé, il en appelle un second, largement étudié aux XXe et XXIe siècles, sur l’espace de l’écriture et ses enjeux.

Pour son dix-septième numéro, la revue Postures a invité les jeunes chercheurs en littérature et en sémiologie à s’interroger sur ce thème, provoquant des réflexions passionnantes autour des notions de territoire et de lieu, de trajectoire, de frontière et de seuil.

La première section du présent numéro s’intéresse à la question des oppositions et des contrastes entre le Nord et le Sud, à la fois dans leur réalité mais aussi dans les fantasmes de l’imaginaire collectif.

Dans son article intitulé « Énonciation du désarroi social à travers la dialectique Nord/Sud dans l’œuvre romanesque d’Henri Lopes », Médard K. Bouazi étudie tout à la fois les dimensions idéologiques, sociologiques et esthétiques de la représentation problématique et contrastée du Nord (identifié à la France) et du Sud (identifié à l’Afrique) grâce à une analyse des modalités narratives mise en œuvre par l’écrivain congolais. Au terme de sa réflexion, l’auteur conclut à l’irréconciliabilité des deux pôles chez Lopes au sein d’une œuvre marquée par l’hégémonie du motif du fragment et l’hétéroclisme du corps social.

La notion d’hétéroclisme est, d’une certaine manière, le point de départ du texte de Marion Avarguès, « La réunion des polarités nord-sud ou comment s’harmoniser au Dao dans le chapitre d’ouverture du Zhuangzi ». S’intéressant à l’œuvre taoïste et chinoise rédigée au IIIe ou IVe siècle avant notre ère, ce deuxième article porte sur les polarités Nord-Sud qui la structurent et qui se redoublent d’une symbolique des animaux et des éléments complexes, elle-même ancrée dans l’opposition fondamentale entre ying et yang qui découle du motif du Dao (qui signifie « voie », « route » ou encore « vérité »). À l’issue de son analyse, Marion Avarguès pose que l’opposition binaire entre Nord et Sud est ultimement appelée à être dépassée dans le Dao, c’est-à-dire l’intégration de tous les êtres au cosmos.

La seconde section de notre numéro explore la notion de frontière, qu’elle soit réelle ou fictive, son sens et son traitement littéraire.

Aurélien Mérard ouvre le bal avec son article intitulé « La frontière, condition préalable à la liberté. Fiction de la frontière dans La Zone du Dehors d'Alain Damasio », dans lequel il interroge la notion de frontière et les rapports de pouvoir, plus spécifiquement la terreur liée à l'abolition de la frontière entre la sphère privée et publique. À la lumière de ce roman anti-utopique, il postule qu'il faut penser les rapports étroits qui unissent technologie et totalitarisme pour comprendre comment La Zone du Dehors, par son discours, parvient à mettre en scène la dissolution des frontières dans le sens où elle serait un préalable à l'instauration d'un régime totalitaire, d'un nouvel ordre. Après une analyse qui souligne que les identités deviennent interchangeables et que chacun n'est rien de plus que la fonction qui lui est assignée, il démontre que ce totalitarisme se fonde sur un certain nombre de dispositifs mettant à bas des frontières essentielles à la construction de l'individu.

Il est également question de construction de l’individu, et, plus précisément, de quête identitaire dans le deuxième texte de cette section : « L’expérience des seuils dans All the Pretty Horses et Cities of the Plain de Cormac McCarthy : réflexions sur le parcours initiatique du personnage de John Grady Cole » par Geneviève Dragon. Analysant la figure maîtresse de John Grady Cole, héros tragique de The Border Trilogy de Cormac McCarthy, cet article propose une lecture de l’espace symbolique où se déroulent les aventures du personnage : la frontière américano-mexicaine. À l’appui de la notion consubstantielle de seuil, centrale dans l’imaginaire du roman américain, Geneviève Dragon propose que chez McCarthy, l’axe Est-Ouest a remplacé le traditionnel axe Nord-Sud, avec tout ce qu’il implique en termes de représentations idéologiques contradictoires et problématiques.

Pour refermer ce deuxième volet, Ariane Gibeau propose une réflexion métaphorisée sur le couple de notions Nord/Sud sous le titre « La colère et son double. Représentations obliques de la colère et de la violence dans Passing de Nella Larsen ». À travers une lecture du roman qui tente de répondre à certaines questions fondées dans la pensée colonialiste à propos de la dichotomie raciale blanc/noir, l'article pose les questions suivantes : « qu’est-ce qu’être Noir dans une société raciste? Comment parvenir à l’égalité raciale? » Mais aussi et surtout : « comment valoriser pour la première fois l’héritage culturel des Africains-Américains, comment faire émerger une identité culturelle noire? » Il analyse enfin la notion de passing, le va-et-vient des femmes de couleurs qui parviennent à passer pour blanches, déjouant les frontières sociales par l'invisibilité de leur négritude, de leur culture et il démontre la souffrance qui découle de la hiérarchie raciale au États-Unis.

La troisième et dernière section du dossier prend un tour plus narratologique en se penchant sur l’écriture de l’espace et son corollaire, l’espace de l’écriture.

Saadia Yahia Khabou signe le premier des deux textes, « La poétique de l’espace et l’expérience de l’écriture dans Les Nourritures terrestres d’André Gide », qui s’inscrit dans le cadre d’une réflexion sur les rapports entre espace et écriture, à une époque et dans un contexte de création littéraire où l’espace cesse d’être un simple cadre pour l’intrigue en développement et devient véritablement un enjeu de l’écriture. Dans sa conclusion sur la notion de spatialisation de l’écriture et sur l’idée de dépassement à l’œuvre dans le roman de Gide, l’auteure avance l’idée que l’instabilité de l’espace présente et prolonge l’instabilité du personnage gidien.

Dernier texte du dossier, « La délinquance du parcours dans La Fabrique de cérémonies de Kossi Efoui » par Maude Cournoyer Gonzalez s’intéresse à la notion de traversée, qu’elle explore dans un sens à la fois littéral, c’est-à-dire de sa représentation et de ses enjeux au sein du roman, et narratologique, au moyen d’une réflexion sur l’écriture de l’espace dans le roman. Pour Maude Cournoyer Gonzalez, le concept de « passeur » permet de rendre compte de l’éphémère et de l’insaisissabilité appliquée aux choses et aux êtres qui caractérise le texte de Kossi Efoui.

Un article hors-dossier, intitulé « Analytique du féminin postmoderne : processus de subjectivation dans Les Mots pour le dire de Marie Cardinal » clôt le présent numéro. Dans son texte, Laurence Pelletier explore la manière dont, dans le récit autobiographique de Marie Cardinal, les enjeux du témoignage spécifique à la psychanalyse permet d’interroger le statut du « sujet » réel et fictif. Elle considère que la psychanalyse, qui sous-tend le roman comme cas de figure de l'expérience postmoderne, pose, dans ce contexte, la question de savoir comment le sujet se ''postmodernise''. Elle propose d'aborder la psychanalyse en trois temps : la forme, le corps et la femme afin de démontrer que la psychanalyse ne libère pas nécessairement le sujet du poids d'un pouvoir oppressant ou d'une sexualité réprimée, mais lui offre l'occasion de se repositionner et de se retravailler à l'intérieur même des modalités de pouvoir dans lequel il est investi.

À travers leurs articles riches et variés, c’est donc toute une enquête tant littéraire que philosophique qui se dessine sous la plume des auteurs de notre numéro. Les œuvres étudiées, issues de quatre continents et dont l’écriture va du IVe siècle avant notre ère à la toute fin du XXe siècle, semblent se répondre et se compléter dans la compréhension de ce en quoi consiste la construction de l’espace et son découpage, réel et fantasmé, nourrissant une réflexion qui va bien au-delà des pages du présent recueil.

La revue Postures tient à exprimer toute sa gratitude aux membres des comités de rédaction et de correction, ainsi qu’à ses partenaires financiers qui permettent à Postures d’exister. Un grand merci à Figura, le Centre de Recherche sur le texte et l’imaginaire, à l’Association facultaire des étudiants en Arts (AFEA), à l’Association Étudiante du module d’études littéraires (AEmel), à l’Association étudiante des cycles supérieurs en études littéraires (AECSEL) mais aussi aux Services à la Vie Étudiante (SVE) grâce à qui les jeunes chercheurs du Canada et d’ailleurs ont l’occasion de faire connaître et de partager leurs travaux.  

Pour citer cet article: 

Caute, Adeline. 2013. « Présentation », Postures, Dossier « Nord/Sud », n°17, En ligne <http://revuepostures.uqam.ca/fr/articles/presentation-17> (Consulté le xx / xx / xxxx). D’abord paru dans : Postures, Dossier « Nord/Sud », n°17, p. 9-13.