repetition is back,
a rose is a rose, said herself
Bill Gates has won
I’ve got the postmodern blues
Patricia Barber
How did we come to believe that the future,
like the past, has already happened?
Such terms as ‘postmodern’ and
‘postapocalyptic’ provide clues.
N. Katherine Hayles
Entre la diffusion des germes et la
diffusion des idées ou des propagandes
le parallélisme est frappant.
André Siegfried
La plupart des dictionnaires présentent une définition très succincte du préfixe «post-». Dans Le nouveau Petit Robert de la langue française, par exemple, on peut lire une explication extrêmement simple : «Élément, du latin post ‘après’, dans le temps (postdater) et dans l'espace (postposer)» (www.lerobert.com). Dans le Multi Dictionnaire de la langue française, pour citer une autre source, la définition est tout à fait semblable à la précédente : «Post-. préf. Élément du latin signifiant ‘après’. Postérieur» (De Villiers, 2009, p.1274). À son tour, l’adjectif postérieur comporte deux acceptions: «1. Qui vient après» et «2. Qui vient derrière» (De Villiers, 2009, p.1277). Évidemment, suite à la définition du préfixe, les dictionnaires contiennent une liste, plus ou moins longue, de termes qui commencent par celui-ci.
En études littéraires, les ouvrages de référence comportent des commentaires plus précis sur certains de ces termes. Le dictionnaire du littéraire se concentre sur deux concepts en particulier : le «postcolonialisme» (Aron et al, 2002, p.481) et la «postmodernité» (Aron et al, 2002, p.482), terme qui, par ailleurs, renvoie à celui de «modernités» (Aron et al, 2002, p.392). Parmi les publications anglophones analogues, The Columbia Dictionary of Modern Literary and Cultural Criticism contient quatre termes : «postcolonial criticism», «postcolonialism» et «postmodernism» (Childers and Hentzi, 1995, p. 234) et «poststructuralism» (Childers and Hentzi, 1995, p. 236). Dans le prestigieux volume Critical Terms for Literary Study, édité par Lentricchia et McLaughin, les concepts de «postmodernisme» et de «poststructuralisme» sont amplement discutés.
Malgré la précision des définitions qui mettent en lumière les significations et les nuances des termes «posts», ces dictionnaires ne permettent pas de percevoir véritablement l’ampleur de ce phénomène que, pour l’instant, je nommerai «la mode des ‘posts’». Afin d’analyser quantitativement cette pratique, j’ai interrogé une des plus importantes bases de références bibliographiques : la Modern Language Association International Bibliography. Cette base électronique contient plus de 2 107 000 références bibliographiques et couvre 4 400 publications périodiques1. Dans mon analyse, je me concentre sur trois aspects : le nombre de références concernées, l’importance relative des différents concepts «posts» et leur évolution chronologique.
En premier lieu, j’ai utilisé la troncature «post*» afin de déterminer combien de publications sont associées à un descripteur contenant ce préfixe. Il s’agit de 18 688 documents. Étant donné que les descripteurs s’inscrivent dans plusieurs catégories, j’ai, dans un deuxième temps, analysé le thesaurus de la banque bibliographique afin de mieux cerner les concepts en question. La liste initialement obtenue comporte 184 termes. Cependant, parmi ceux-ci, il y a des noms propres ainsi que plusieurs termes reliés au service postal ou bien à la phonétique2. En nettoyant les résultats et en groupant les différentes variantes d’un même concept sous une troncature commune, la liste se réduit à 37 termes. En me basant sur la technique des mots-clés, j’ai obtenu des indicateurs bibliométriques pour chacun de ces concepts3. Dans le Tableau #1, nous pouvons observer le nombre de publications associées à chaque terme. On constate qu’il existe des différences quantitatives très significatives d’un concept à l’autre.
À partir de ces résultats, j’ai sélectionné toutes les troncatures qui contiennent plus de 100 publications et qui, ensemble, correspondent à 90% des références décrites par un concept «post». Il s’agit de seulement 8 concepts : postmodernité et ses variantes, postcolonialisme et ses variantes, poststructuralisme, postguerre (postwar), postcommunisme, postapartheid, posthumain (posthuman) et postféminisme (postfeminism). Pour chacun de ces termes, j’ai obtenu des séries chronologiques, par type de document et par langue. Afin d’éviter des séries incomplètes, la dernière année considérée est 2007.
Si nous considérons toutes les données conjointement, le Tableau #2 montre deux faits saillants de cette mode des «posts». Il est tout à fait évident, premièrement, qu’il s’agit d’un phénomène nettement dominé par deux concepts : la postmodernité et le postcolonialisme4. Nous constatons, deuxièmement, que la langue anglaise monopolise très fortement les publications sur tous ces termes.
La plus volumineuse des séries est celle de la postmodernité avec plus de 8 500 références5. Dans le Graphique #1, nous pouvons examiner l’évolution des publications annuelles associées à ce terme. À l’exception d’une observation isolée en 1961, les publications commencent à paraître dans les années 1970, mais le véritable essor a lieu entre les années 1980 et le milieu des années 1990. Après le sommet atteint en 1994, tout en suivant une forme de scie, la série montre une tendance négative6.
Les données du postcolonialisme (Graphique #2), quant à elles, indiquent une croissance plus tardive, vers la fin des années 1980, et un volume de publications plus faible que la postmodernité. Cependant, ce concept s’inscrit aussi parmi les chefs de file des concepts «posts». Malgré le sommet atteint par cette série en 2003, nous ne pouvons pas encore affirmer que le nombre de publications diminue définitivement, puisqu’en 2006 et 2007 le volume recommence à augmenter.
La série du poststructuralisme (Graphique #3) montre un profil assez différent des précédents. Avec moins de 1 500 publications enregistrées dans MLA, ces données surgissent faiblement en 1977 et commencent à croître vers le milieu des années 1980. Nous observons plusieurs sommets relatifs : 1986, 1993, 1996 et 1997, moment à partir duquel les publications annuelles diminuent considérablement.
Le profil des données sur la postguerre (Graphique #4) se distingue énormément de celui des autres concepts. Avec une seule observation en 1936, qui renvoie à la Guerre Civile espagnole, il s’agit du plus ancien des termes analysés et présente un total de 710 documents. Malgré une légère augmentation après la Deuxième Guerre mondiale, le nombre de publications est très faible jusqu’en 1990. À partir de cette date, malgré quelques diminutions ponctuelles, tout semble indiquer qu’il s’agit d’une série en pleine croissance.
Les autres séries sont considérablement moins volumineuses et plus tardives que les quatre premières. Les publications sur le postcommunisme (Graphique #5) et sur le postapartheid (Graphique #6) démarrent en 1991 et ne dépassent jamais les 30 publications annuelles. Évidemment, ces deux séries sont directement reliées à des évènements historiques très précis : la désintégration de l’Union Soviétique et la fin de l’apartheid en Afrique du Sud.
En ce qui concerne les publications sur les posthumains (Graphique #7) et le postféminisme (Graphique #8), à l’exception de quelques publications isolées, ces deux séries surgissent vers la dernière moitié des années 1990. Malgré un nombre cumulé assez réduit de publications, ces deux concepts montrent une tendance positive. En particulier, le postféminisme indique une croissance importante en 2006 et 2007.
Dans les huit séries analysées, le type de publications le plus important correspond aux articles, suivi des chapitres de livre et des livres. En général, le nombre de thèses n’est pas très significatif.
Maintenant, en ce qui concerne l’évolution chronologique comparée, dans le Graphique #9, je présente toutes les données en perspective. Comme je l’ai signalé ci-dessus, à l’exception de quelques articles sur la postguerre, les séries démarrent dans les années 1980 ou après, alors que les publications sur la triade postmoderne/postmodernité/postmodernisme occupent déjà une place très importante dans la circulation des idées. En particulier, nous observons que les documents sur le poststructuralisme montrent un profil qui, à une échelle réduite, suit de très près les fluctuations de la postmodernité. Par contre, la deuxième série d’importance majeure, celle du postcolonialisme, montre un essor très distinctif à partir du milieu des années 1990, alors que la postmodernité commence à montrer les premiers signes d’essoufflement. Dans ce sens, il paraît que toutes les autres séries s’inscrivent davantage dans une trajectoire qui se rapproche de celle du postcolonialisme, puisqu’elles déploient une croissance assez importante à partir du tournant du millénaire.
Sans avoir aucunement l’intention de déterminer une causalité conceptuelle entre les termes, l’observation des données bibliographiques permet d’établir que, dans une certaine mesure, la présence très marquée et très marquante de la postmodernité agit comme un catalyseur qui, originellement, incite la création d’autres concepts «posts» 7. Ensuite, alors que la postmodernité entre dans une étape de déclin, la croissance des publications sur le postcolonialisme stimule la circulation, voire encourage la création, de ce genre de termes. Mis à part les faits culturels et historiques qui se trouvent à la source des différents termes analysés, cette deuxième vague de concepts «posts» est clairement identifiable lorsqu’on examine l’évolution chronologique de certaines données. Dans cette perspective, en premier lieu, il me semble que l’augmentation des publications sur le postcommunisme, à partir de 1998, et sur le postapartheid, à partir de 2000, est très symptomatique. En deuxième lieu, je voudrais mettre en lumière le décalage observable dans l’envol de certaines séries. Dans ce sens, par exemple, les publications sur les posthumains montrent une distance chronologique importante par rapport à la naissance du terme cyborg auquel elles sont, en principe, rattachées8. À son tour, la parution tardive de la série sur le postféminisme se présente comme un phénomène considérablement éloigné des théories féministes9. Finalement, les données sur la postguerre constituent un profil particulièrement surprenant. En effet, de 1936 à 1990, le nombre de documents ne dépasse jamais les 10 publications annuelles. Cependant, tout en suivant une forme de scie, la série sur la postguerre expérimente une très forte croissance à partir de 1990 et, en 2007, surmonte la barre de 50 documents par année.
Selon les données analysées, il y aurait une certaine insistance dans l’emploi du préfixe «post» per se. En effet, nous pouvons observer deux cas de figure de décalage. D’une part, nous constatons un empressement pour déclarer la fin d’une condition quelconque afin de s’installer après son dénouement. Étant donné que, à ma connaissance, nous sommes encore des êtres humains et que les théories féministes sont toujours en circulation, les séries sur les posthumains et le postféminisme s’inscrivent d’emblée dans une situation de terminaison anticipée, voire fausse10.
D’autre part, la série de la postguerre constitue, au contraire, un besoin de raviver un évènement qui se situe relativement loin dans le temps et de se placer juste après sa fin. Ces différents cas de décalage, entre l’apparition des séries et les phénomènes auxquels supposément les termes renvoient, indiquent que leur genèse n’est pas nécessairement étymologiquement fondée, puisque leur conception ne se trouve pas enracinée dans leur signification. Par ailleurs, dès 1975, le politologue Giovanni Sartori signalait une tendance babélique dans la formation de concepts dans les sciences sociales11. D’après lui, nous serions désormais devant une «perte d’ancrage étymologique», provoquée en partie par la méconnaissance, de la part des scientifiques, des langues de l’Antiquité. Ainsi, cette formation lacunaire des savants se traduirait très souvent par une dissociation entre la source grecque ou latine des mots et leur utilisation actuelle. Le décalage constaté dans certaines des séries «posts» vient confirmer cette tendance babélique mise en lumière par Sartori.
En conséquence, le déracinement étymologique observé dans certains cas vient renforcer l’analogie entre la prolifération des «posts» et les phénomènes épidémiologiques. De ce point de vue, nous pourrions avancer que, compte tenu des séquences temporelles et des trajectoires décrites par les différentes séries, tout semble indiquer que l’apparition des termes «posts» correspond, initialement, à une épidémie postmoderne, alors que, par la suite, leur propagation a lieu sous l’égide du postcolonialisme.
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