Quand Ie poème devient tableau. Picturalité dans Le Vierge incendié de Paul-Marie Lapointe

Article au format PDF: 

 

La poésie québécoise connaît, au tournant des années 1940, un mouvement où certains poètes, les explorateurs de l’intériorité, travaillent de plus en plus une vision personnelle du poème et ouvrent la voie au « poète moderne » en inspirant une nouvelle approche de la poésie et de l’acte d’écriture :

On n’entre plus en poésie comme dans un moulin. Les vers n’accompagnent plus, ne bercent plus les peines et les joies : ils les suscitent, les déplacent. La poésie n’est plus une question d’atmosphère, de décor, d’état d’âme […], elle est une question d’espace, de temps, de langage (Mailhot et Nepveu, 1996, p. 16).

La poésie cherche à s’éloigner des formes traditionnelles en introduisant la déconstruction comme principe formel. Aussi, l’approche change : on recherche maintenant des effets d’imaginaire, tout en continuant à participer à « l’effondrement de la prosodie classique » (Mailhot et Nepveu, 1996, p. 19) et à un nouvel usage formel. Les années 1940 seront aussi marquées d’influences surréalistes. En effet, aux côtés de Breton et de Borduas, Gauvreau et Giguère (entre autres) participent à un mouvement littéraire québécois inspiré du surréalisme français des années 1920‑1930. Ce courant permet alors aux poètes québécois de travailler leur parole d’une façon originale, qui préconise la déconstruction et la spontanéité. Parallèlement à ce mouvement se développe celui de l’automatisme, cristallisé par la parution du Manifeste du Refus global en 1948. Gauvreau sera l’un des signataires de ce texte et il éditera, à la même maison d’édition artisanale, Mithra-Mythe, le recueil d’un jeune poète, soit Le Vierge incendié de Paul-Marie Lapointe. La poésie de Lapointe est marquée d’une violence tangible, mais aussi d’un travail particulier du langage et du texte. En plus d’user d’une métaphorisation particulièrement dualiste qui implique des associations sémantiques surprenantes et de faire preuve d’un riche travail typographique, elle travaille le texte selon un axe imprégné d’influences des arts visuels, dialoguant avec le tableau d’art. Ce mélange des genres dans un même recueil permet d’élaborer un nouvel axe de lecture, puisque le texte est abordé comme un texte en soi, mais aussi comme un tableau visuel, ou comme l’heureux mélange plurisémantique des deux.

Paul-Marie Lapointe apparaît donc dans cette vague des poètes des années 1940 : Le Vierge incendié est publié en 1948. Cependant, il ne sera véritablement connu et lu que lors de la réédition du recueil en 1960. Natif de Saint-Félicien, il fait ses études classiques au collège de Chicoutimi puis au collège Saint-Laurent. Il entre ensuite à l’école des Beaux-Arts, à Montréal. Il écrit son recueil en 1947, tout juste avant de rencontrer Claude Gauvreau. Vivement intéressé par les textes de Lapointe, Gauvreau en initiera l’édition sous les presses de Mithra-Mythe, qui a édité le Manifeste du Refus Global, bien sûr, mais aussi Projections libérantes de Paul-Émile Borduas. Cette première édition est significative en ce sens que, entre Lapointe et l’automatisme, un lien véritable se tisse. Bien que le poète n’ait jamais participé activement aux réunions des automatistes, il a gravité autour du groupe quelques temps, intéressé, mais à la fois apeuré par l’ampleur du regroupement. Lapointe ne se considérait pas comme un théoricien et il vouait une grande admiration à l’érudition de Gauvreau. Cependant, Paul-Marie Lapointe n’était pas lui-même sans culture. Il avait lu Rimbaud, Baudelaire et Éluard au collège, recherchant de son propre chef les textes plus marginaux de ces auteurs, auquel il doit beaucoup. Il est ainsi arrivé à se forger une écriture aux allures surréalistes, tout en empruntant une voie très personnelle. En effet, plusieurs critiques (Bourassa, Melançon, Laflèche) caractérisent les textes du Vierge incendié de surréalistes et d’automatistes. Philippe Haeck va plus loin en expliquant la particularité du recueil : « Le Vierge incendié, lui, ne nous paraît pas prolonger une tradition en poésie québécoise; il semble être une brusque interruption que rien n’annonçait, il ne s’agit plus de continuité mais de rupture. » (Haeck, 1972, f. 34) Cette rupture est d’autant plus intéressante qu’elle transparaît dans la texture même du recueil et qu’elle implique plusieurs éléments, poétiques (découpage, typographie, métaphorisation) comme artistiques (liens à une structure du tableau d’art, utilisation des couleurs et équilibre visuel).

L’écriture de Paul-Marie Lapointe explore effectivement différentes formes. Les premiers textes du recueil sont en vers libres. Plus on avance dans le recueil, plus les vers tendent vers une forme tabloïde qui suspend la ponctuation et la disposition habituelle. Ainsi, le poème « Cartable noir des portraits » propose un changement de typographie qui passe par plusieurs étapes de dépouillement, preuve d’une expérimentation qui se traduit par une épuration de la page :

[…]                                              Les femmes
détraquent  les  heures  de  sommeil  avec  leurs jambes,
bois dans les roues.  Roue  qui   tourne et  qui ne tourne
plus         la jambe l’arrête             la cuisse le haut de la
jambe          et tout le pays            exploration à plat ven-
tre du pays de ventre           ni ciel ni lune                […]
(Lapointe, 1998, p. 51)

Cette nouvelle disposition déroute le lecteur, qui se retrouve face à un texte-tableau. Cet effet visuel est étoffé par de grands espaces blancs, silencieux, entre les vers. En effet, ces espaces des poèmes en blocs représentent des silences, mais ils jouent aussi le rôle d’organisateurs textuels et spatiaux. Les mots se posent comme des touches de peinture, et ces points d’équilibre (comprendre équilibre pictural comme dans la composition d’un tableau) cadencent la lecture et le regard, alors que l’absence graduelle de majuscules et de ponctuation unifie, lisse l’ensemble. Ainsi, l’aspect tabulaire des textes change notre expérience de lecture. La présence de cette tabularité, à savoir cette « possibilité pour le lecteur d’accéder à des données visuelles dans l’ordre qu’il choisit, en cernant d’emblée les sections qui l’intéressent […] dans un ordre décidé par le sujet » (Vandendorpe, 1999, p. 41), se voit établie et accentuée dans cette transformation du texte. L’uniformisation des poèmes-blocs les investit d’un pouvoir typographique et graphique. Leur apparence géométrique leur permet de se cadrer eux-mêmes : le contour blanc de la page et de la strophe centre les textes dans leur espace propre. Ce cadre sépare aussi les poèmes, coupant la suite linéaire d’une majuscule à un point et d’une phrase à l’autre. C’est ici que la division du recueil en parties (crânes scalpés, vos ventres lisses, on dévaste on cœur, il y a des rêves, la création du monde) aide à structurer l’ordre des poèmes, puisque ce qui s’impose avant tout, c’est le traitement de l’espace, tabulaire, au détriment de la linéarité traditionnelle.

Ces poèmes-tableaux du recueil offrent ainsi une disposition visuelle particulière, en plus de proposer un champ lexical de couleurs qui ajoute à la thématique de la peinture. Ces couleurs sont souvent tranchées (orange, rouge, framboise), parfois plus tendres (blanc, rose), et ont un rôle coup-de-poing : elles sont souvent associées à une défense, à un combat ou à une violence et elles éclatent la page ou la strophe dans un effet visuel tangible : « le remords du luxe aboli / me torture de griffes rouges » (Lapointe, 1998, p. 89). En effet, toute la relation au monde est tendue, empreinte de violence. De par leur construction et leur emplacement, les mots-couleurs étoffent le combat de l’éclatement visuel. Ces couleurs en viennent à envahir l’espace, à leur manière, subtilement ou avec la force d’un feu d’artifice, et se révèlent au regard, comme un point de fuite, ou se font découvrir dans une métaphore, comme un jeu d’ombrages et de détails. Par exemple, dans « kimono de fleurs blanches » (le poème sur lequel nous nous concentrerons puisqu’il est représentatif du caractère pictural des autres poèmes du recueil), les mots-couleurs sont répartis stratégiquement dans la page. Présents tout d’abord dans le haut du poème, puis dans la partie gauche du texte, ils forment un axe géométrique, un cadre brisé :

kimono  de fleurs blanches     de fleurs roses    la
nuit porte des oranges dans tes mains   je voudrais
que nous mourions comme le jour             puisque
jamais nous ne pourrons retrouver ce petit cab qui
nous menait dans le fond de la mer        bouche de
truite rouge      repaire parfumé dans les coraux et
les éponges qui nous examinaient avec leur regard
nombreux          tu les chassais avec cette moue de
framboise écrasée     le vent qui passait     […]
(Lapointe, 1998, p. 115)

Ces mots-couleurs s’apposent véritablement comme des touches de peinture, et, alignés entre les vers et les espaces blancs, ils rythment le texte, ils organisent l’équilibre visuel et permettent une lecture guidée par eux.

Un aspect intéressant de la picturalité de ces textes est qu’elle résulte d’une révolte. En travaillant le texte et le mot, Paul-Marie Lapointe libère une violence adolescente qui répond aux traditions et à la fermeture de la société qui l’entoure. L’écriture qui découle de cette prise de position ne peut qu’être éclatée, enragée et en mouvement : c’est par ce mouvement que la ponctuation s’efface tranquillement et que les paramètres du texte tendent vers une forme tabloïde. Guy Laflèche est l’un des premiers à reconnaître cette violence dans l’écriture de Lapointe, tout en l’opposant à la présence simultanée d’une certaine douceur1. En effet, la violence-révolte, thématique centrale du recueil, contraste avec une douceur très sensible : soit elle naît d’elle, soit elle la détruit, mais la violence et la douceur sont en interrelation constante. Le recueil s’assemble comme un long rituel de purification par l’amour, par la sexualité, par la transcendance des limites, des absolus, mais aussi des cadres sociaux contraignants. Dans « kimono… », le vers « la nuit porte des oranges dans tes mains » induit une certaine responsabilité pour cette personne qui reçoit les fruits et qui semble être la compagne du protagoniste principal du recueil. Ce sera elle qui chassera la menace et les intrus « avec cette moue de framboise écrasée ». Par la suite, l’intimité créée et protégée par elle et pour lui aboutira en l’éclosion d’une sensualité :

et cette étoile de frisson qui montait sur ta jambe gau-
            che        le long du mollet       sur le genou       dans le
             creux de la cuisse           mais soudain comme toute la
             mer a disparu               et le sel des cheveux  et le jour
             qui  va  paraître  et  qui  est plus   vide que le reste du  
monde
(Lapointe, 1998, p. 115, pour toutes les citations précédentes)

Il faut donc prendre note que cette violence, bien que centrale dans le recueil, peut aussi livrer, en conséquence ultime, une intimité positive et créatrice. Même si les deux personnages s’opposent parfois, s’entre-déchirent, leur union demeure le seul salut possible. La violence et la révolte se prolongent ainsi dans l’organisation textuelle, dans l’abandon progressif des repères de ponctuation usuels pour tendre vers un texte qui sera lui aussi attaqué, troué. La dévoration est maîtresse dans ce recueil. Le protagoniste principal attaque par la morsure l’environnement qui l’entoure : « les bouches dévorent le soleil qui tombe en larmes » (Lapointe, 1998, p. 40). De plus, il dévore sa compagne, associant union, intimité et morsure : « baisers pavots au bout des tiges de jambes / l’épingle vous tord les deux bouches bien prises / vous fracasse le plaisir […] je fais l’amour avec mes dents » (Lapointe, 1998, p. 47). Ainsi, le morcellement encouru par ces morsures prolongera la dévoration jusqu’au texte lui-même, qui semble carrément grugé. Le traitement de l’espace par les blancs accentue ainsi la dévoration.

La révolte présente dans la poésie du Vierge incendié a donc un but. Il faut faire table rase pour que quelque chose renaisse seul. Bien sûr, l’idée de laisser le tout apparaître de lui-même façonne cette révolte, encourageant son côté absolu, extrême. La poésie doit être essentielle : elle se doit d’agir comme outil de dénonciation, elle est l’élément maître de la révolution, son porte-étendard2. Elle permet un rapport aux mots qui transcende le réel du poète pour aboutir à une réalité transformée. Elle recouvre une valeur performative. Chez Lapointe, cette révolte encourage les changements typographiques; elle est ainsi à la naissance même d’une hybridité avec le monde pictural. En se refusant aux traditions, en exprimant son désir de briser les moules, Lapointe se refuse aussi au texte traditionnel. Son exploration du texte n’en devient que plus assurée, dans cet appel instinctif aux arts visuels, et il utilise le matériau de la langue de diverses manières. Aussi, cette disposition des mots sur la page rehausse l’effet matériel de la poésie. Vandendorpe rappelle d’ailleurs que la poésie, depuis Mallarmé, connaît d’autres préoccupations : « L’indice matériel de la poéticité est conféré par le jeu du texte sur le blanc de la page, plus que par sa conformité à un code de versification. » (Vandendorpe, 1999, p. 45) Car si maintenant le poème travaille le graphisme tout autant que la sémantique, c’est que « le mot prend valeur par sa forme : l’écriture crée un paysage et devient graphisme esthétique » (Cornu, 1983, p. 128). Les changements typographiques proposés par Lapointe ouvrent le texte sur l’espace, sur sa présence et son traitement aux tendances artistiques, graphiques, esthétiques. Mais bien que le texte devienne un tableau en noir et blanc, un bloc qui se découpe et se fragmente au gré des mots, les poèmes du Vierge incendié ne sont pas que plastiques : le travail sur la langue est tout aussi présent et digne de mention.

La métaphore poétique se rapproche elle aussi de l’image visuelle par l’effet de sens et d’imaginaire qu’elle provoque. Les métaphores chez Lapointe sont riches, fortes et souvent dualistes. En effet, l’association de certains mots crée un effet surprenant : « duvet de biche / vieille garce toute plissée dans mon ventre / douceur des corps d’enfants massacrés par les gueules / garce du chardon du sein » (Lapointe, 1998, p. 60). Ces métaphores déstabilisent par leur apparence surréaliste, ensuite par leurs jeux sémantiques remarquables, car ce travail sémiologique du mot étoffe le texte. Encore une fois, l’utilisation particulière des couleurs ajoute à l’effet d’ensemble : « carmin décoré de lotus / […] et le jardin de toutes les autres allées de fleurs / […] éventail d’un plaisir / deux couleurs au bout de main rouge et noire » (Lapointe, 1998, p. 111). De plus, les jeux typographiques travaillent la disposition des mots, offrant ainsi un effet d’ensemble qui se rapproche du collage. De cette façon, l’écriture de Lapointe travaille cet effet et propose une juxtaposition surprenante des métaphores. La révolte amène le poète à revoir la disposition typographique de ses textes jusqu’aux rectangles parsemés de blancs silencieux. Cette nouvelle disposition, si étrange au premier regard du lecteur, est la base sur laquelle repose tous les autres aspects : le texte ressemble ainsi à un tableau dans lequel les couleurs, les mots coup-de-poing, les équilibres de dispositions entre blancs et mots, entre les vers tout entiers aussi, mèneront à une approche singulière de cette poésie. Jean-Claude Dussault affirme avec justesse que, dans Le Vierge incendié, Paul-Marie Lapointe s’offre en « poète pictural » (Dussault, 1951, p. 4). Cette hybridité, entremêlant mots et monde de la peinture et des arts visuels, se prolonge aussi dans l’écriture poétique des autres recueils de Lapointe, dont nous traiterons plus loin. Ce poète pictural offre une poésie qui se matérialise dans un axe tabulaire, qui offre une expérience de l’œuvre d’art.

On parle de Lapointe comme d’un poète pictural qui utilise, de plus, un langage figuratif près du langage des arts3. Le poème « kimono de fleurs blanches « est effectivement présenté en blocs, sous forme tabulaire. L’œil est d’abord frappé par cet aspect et il peut parcourir le texte comme une peinture. Cet axe de lecture est commenté par Vandendorpe : « [U]ne fois segmenté en divers blocs d’information cohérents, le texte forme une mosaïque que le lecteur pourra aborder à son gré. » (Vandendorpe, 1999, p. 42) Il y a ainsi une mise en place d’espaces qui, eux, s’organisent comme dans une toile. Il y a tout d’abord la « nuit »  qui descend sur le couple, l’enveloppant. Ensuite, il y a la mise en place, l’installation, dans ce fond marin particulier, de personnages (et ce, en plus du couple initial) et de mouvements distincts : « repaire parfumé des coraux » observé par un des deux protagonistes sous une « moue de framboise écrasée ». De plus, l’univers est délimité par le « vent » et le « courant de cuivre » ainsi que par l’arrivée du « fauteuil baroque [...] à la dérive » (Lapointe, 1998, p. 115, pour toutes les citations précédentes). Ce « microcosme » accumule aussi les métaphores visuelles, c’est-à-dire des métaphores qui s’illustrent facilement dans le registre de l’imaginaire. Une toile se dessine sous nos yeux à mesure que la lecture avance. Ce tableau en mots arrive à mettre en scène une action, un combat qui se termine dans l’intimité et par le lever du jour. Mais aussi, les couleurs ponctuent le poème comme des points de repères en touches de peinture. La construction du texte en tableau s’y complète. De plus, cette expérience poétique est transportée et transposée par les effets visuels (blancs, mots-couleurs) autant que par le langage figuratif.

La poésie de Paul-Marie Lapointe n’a pas cessé, depuis ce premier recueil, écrit en quelques mois à la fin de son adolescence, d’entretenir des liens avec le domaine des arts visuels dans une complémentarité intéressante. Dans son recueil Tableaux de l’amoureuse (1974), c’est un travail dans le langage qui sera adopté. Ce recueil ne présente effectivement pas d’images physiques, mais déjà dans le titre, Tableaux, le lien aux arts est tangible. De plus, certains poèmes sont titrés de mots appartenant au langage des tableaux d’art (par exemple, dans le poème personnage). Encore une fois, le champ lexical des couleurs est marqué. Par exemple, on trouve des couleurs vives : bleu, rose, rouge, fuschia et vert. Des termes propres à l’analyse des toiles abondent aussi dans le texte (lumière, ombre, clair-obscur, tamise, à droite, espace, paysage, personnage, pastels). Le recueil Bouche rouge (1976), pour sa part, a été créé en collaboration avec la peintre Gisèle Verreault, épouse du poète. Petit livre d’art tiré à un nombre limité d’exemplaires, il implique directement la peinture dans le texte : « [les vers] surgissent en même temps que les dessins, s’inscrivant en alternance, les interrogeant, leur répondant, échangeant leurs rôles « (Mossetto, 1992, p. 442). Il y a donc plutôt une complémentarité qu’un parallélisme. Cette interaction témoigne de l’importance que Lapointe accorde au langage des arts visuels. Outre le désir de faire un projet commun, ce livre d’artiste illustre bien à quel point le langage visuel peut s’allier au langage verbal. Ce petit ouvrage rare est ainsi un genre d’osmose artistique, mais remarquable d’hybridité, de complémentarité. Notons rapidement que Lapointe a fait appel à une deuxième artiste, Betty Goodwin, pour l’illustration du recueil Tombeau de René Crevel (1979). Cette fois-ci, ce sont des lithographies et des eaux-fortes qui accompagnent le texte, toujours dans un esprit d’interpénétration disciplinaire. Dans son recueil écRituREs (1980), édité en deux tomes, Lapointe expérimente, transcende, manie le texte, dessinant lui-même par-dessus ses poèmes, apposant des cadres géométriques à ses mots, étalés sur la page. Ainsi, il rejoint ces auteurs, qui, pour

manifester l’indépendance de la création graphique à l’égard du sémantique […] manipulent le mot-signe de telle sorte que, vidé de son signifié, il se transforme en matériau : le mot, la lettre, sont considérés pour leur forme et disposés dans la surface selon la valeur de la ligne, l’équilibre des masses (Cornu, 1983, p. 127).

Ces travaux hybrides, complémentaires, montrent qu’un entretien est conservé et valorisé et qu’il crée un dialogue art-littérature, encre-poème, poésie-picturalité. Le langage des arts est un langage en soi; aussi son interrelation avec le langage syntaxique n’est-elle pas impossible, elle est même souhaitable. Cela dit, la disposition et l’analyse des textes seront différentes, car cette association ouvre la voie à des questionnements de l’ordre de la complémentarité, de la primauté et du tierce langage.

 

Bibliographie

Bourassa, Gilles André. 1980. « Une nuit particulière ». Études françaises, vol. 16, n° 2, p. 29-46.

Cornu, Geneviève. 1983. « Écriture, peinture : Des calligrammes aux pictogrammes ». Semiotica, vol. 44, n° 1-2, p. 123-135.

Dumont, François. 1992. « Le statut de l’essai dans la poétique de Paul-Marie Lapointe ». Voix et images, vol. 17, n° 51, p. 441-423.

Dussault, Jean-Claude. 1951. « Lecteurs, la parole est à vous ». Le Haut-Parleur, 14 avril 1951, p. 4.

Haeck, Philippe. 1972. Le Vierge incendié, une nouvelle écriture. Mémoire de maîtrise, Université de Montréal, 123 f.

Laflèche, Guy. 1970. « Écart, violence et révolte chez Paul-Marie Lapointe ». Études françaises, vol. 6, n° 4, p. 395-417.

Lapointe, Paul-Marie. 1974. Tableaux de l’amoureuse suivi de Une unique, art égyptien, voyage et autres poèmes. Montréal : L’Hexagone, 101 p.

Lapointe, Paul-Marie. 1976. Bouche rouge. Montréal : L’Obsidienne, s.p. Lithographies de Gisèle Verreault.

Lapointe, Paul-Marie. 1979. Tombeau de René Crevel. Montréal : L’Obsidienne, 100 p. Eaux-fortes de Betty Goodwin.

Lapointe, Paul-Marie. 1980. écRituREs. 2 vol., Montréal : L’Obsidienne, 420 et 514 p.

Lapointe, Paul-Marie. 1998. Le Vierge incendié suivi de Nuit du 15 au 26 novembre 1948. Montréal : Typo, « poésie », 171 p.

Mailhot, Laurent et Pierre Nepveu. 1996. La poésie québécoise. Anthologie. Montréal : Typo, 642 p.

Melançon, Robert. 1987. Paul-Marie Lapointe. Paris : Seghers, « Poètes d’aujourd’hui », 202 p.

Mossetto, Anna Paola. 1992. « Bouche rouge : livre d’art et d’amour ». Voix et images, vol. 17, n° 51, p. 446-457.

Vandendorpe, Christian. 1999. Du papyrus à l’hypertexte. Montréal : Boréal, 271 p.  

 

Pour citer cet article: 

Demers, Gabrielle. 2005. «Quand Ie poème devient tableau. Picturalité dans Le Vierge incendié de Paul-Marie Lapointe», Postures, Dossier «Arts, littérature: dialogues, croisements, interférences», n°7, En ligne <http://revuepostures.com/fr/articles/demers-7> (Consulté le xx / xx / xxxx). D’abord paru dans : Demers, Gabrielle. 2005. «Quand Ie poème devient tableau. Picturalité dans Le Vierge incendié de Paul-Marie Lapointe», Postures, Dossier «Arts, littérature: dialogues, croisements, interférences», n°7, p. 124-135.