Le CIEL fête ses vingt-cinq ans! Et après?

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Une institution depuis 1995

Le Colloque interuniversitaire étudiant de littérature (CIEL) est une institution qui transcende les époques : déjà un quart de siècle est passé depuis la première édition en 1995. Si sa formule s’est transformée au cours des années, en abandonnant notamment le modèle des répondant·e·s et les prix de distinction, l’événement offre encore et toujours aux étudiant·e·s à la maîtrise ou au doctorat des départements d’études littéraires des universités québécoises la possibilité de présenter les résultats de leurs recherches. Pour rappel, le CIEL est un événement annuel qui prend place dans l’une des trois principales universités montréalaises (UQAM, UdeM et McGill). La tenue de ce colloque, traditionnellement à thème ouvert, constitue en outre une excellente occasion pour la communauté universitaire de repérer les nouvelles tendances chez les chercheur·e·s émergent·e·s. Il s’inscrit dans la suite des Rendez-vous de la recherche émergente du CRILCQ et des dossiers thématiques consacrés à la recherche étudiante comme le plus récent numéro de Voix et Images.

Si le CIEL est susceptible de révéler l’engouement des jeunes chercheur·e·s pour des sujets et problématiques communes, il se présente également comme une occasion de s’initier à des approches moins familières. Qu’il s’agisse de sociocritique, de psychanalyse, de sémiotique, etc., ces approches au cœur des études littéraires n’ont (heureusement) pas le même poids au sein des différents départements de littérature de la province. Le CIEL permet ainsi aux étudiant·e·s issu·e·s d’universités variées de découvrir les approches, les perspectives et les éthos qui rendent les départements d’études littéraires distincts les uns des autres et qui contribuent à la grande richesse et diversité de la communauté universitaire montréalaise. 

L’édition de 2020

La pandémie a forcé l’annulation du colloque qui devait se tenir le 29 avril 2020 à l’université McGill. À l’instar de nombreux autres projets et initiatives, le CIEL a dû être adapté aux nouvelles circonstances sanitaires. Nous avons été amenées à réfléchir à une solution de rechange pour donner voix aux recherches de nos collègues. En dépit des circonstances, les membres du comité scientifique de l’événement – composé de représentant·e·s de l’UQAM, de l’UdeM et de McGill – tenaient vivement offrir à leurs collègues des cycles supérieurs la possibilité de mettre en valeur leurs recherches, en elles-mêmes et pour elles-mêmes, et non à titre de travail rapidement remanié pour répondre aux attentes d’un événement à la thématique prédéfinie.

Loin d’y voir un malheur, nous y avons vu une occasion unique pour repenser la formule du CIEL; pour lui donner, peut-être, un nouveau souffle, car il faut reconnaître que la tradition du CIEL semble s’essouffler. Nous avons pu remarquer qu’à l’heure actuelle, l’événement peine à se distinguer parmi l’imposante offre de colloques et de journées d’étude proposées aux chercheur·e·s. Force est de constater que son caractère distinctif n’est plus suffisant pour assurer sa pérennité. La pandémie s’est ainsi présentée comme une occasion toute désignée pour explorer de nouvelles formes que pourrait prendre le CIEL. Dans ces circonstances, nous avons opté pour une version écrite. Ce choix a été motivé par un double objectif. D’une part, nous souhaitions offrir à nos collègues la possibilité de laisser une trace écrite de leur pensée. Cette marque, croyons-nous, permettra assurément aux participant·e·s parvenu·e·s au terme de leur programme de maîtrise ou de doctorat de mesurer tout le chemin parcouru et l’ampleur du travail accompli. D’autre part, le format écrit – et numérique – a ceci de pratique qu’il permet une plus grande diffusion. Les usages de la communauté littéraire étudiante d’aujourd’hui sont assurément différents de ceux qui ont présidé à la fondation du CIEL, il y a de cela 25 ans. À présent, les jeunes chercheur·e·s se regroupent non seulement pour participer à des 5 à 7 cordiaux, des tournois littéraires et d’autres activités en tout genre, mais également au sein d’espaces virtuels. La diffusion en ligne de ce numéro du CIEL participe de notre désir de rejoindre non seulement les étudiant·e·s montréalais·e·s, mais également nos collègues de la province et de l’international.

À l’heure où les étudiant·e·s sont plus que jamais encouragé·e·s à participer à différents événements de vulgarisation scientifique, nous espérons que cette formule inédite a constitué – et, peut-être, constituera – une expérience enrichissante pour tou·te·s les étudiant·e·s qui désirent s’exercer à la rédaction et à la publication d’un article scientifique. Il faut dire que la réalisation de ce dossier permet du même coup au comité organisateur de s’initier aux différents rouages du processus éditorial. Fruit du travail commun de plus d’une dizaine d’étudiant·e·s, ce numéro propose quatre textes consacrés à des problématiques littéraires variées.

Dans Les usages de la mémoire dans la Vie par elle-même de Madame Guyon, Stéphanie Guité-Verret analyse les entrelacements de deux espaces : celui du monde matériel et celui de la vie intérieure. Guité-Verret montre qu’à ces espaces distincts correspond une autre tension, moins évidente et de fait moins étudiée à ce jour, soit celle entre une mémoire agissante et défaillante. Cette tension entre les différents états de la mémoire, soutient l’auteure, jouerait un rôle clé dans la vie mystique de Madame de Guyon et, par extension, dans son récit autobiographique. 

Fabrice C. Bergeron, dans son texte intitulé Balzac et Joseph de Maistre, esprits d’une même famille? Liens implicites dans l’œuvre critique de Barbey d’Aurevilly, montre les rapports établis dans les écrits critiques de Jules Barbey d’Aurevilly entre les auteurs Joseph de Maistre et Honoré de Balzac. Cette analyse souligne que, malgré l’affinité religieuse observable entre Barbey d’Aurevilly et Balzac, il se dresse d’importantes différences esthétiques et morales dans les œuvres des deux romanciers, notamment en ce qui a trait à la dette que doivent les auteurs à Joseph de Maistre. Cette disparité, selon Bergeron, pourrait nous aider à mieux comprendre les réceptions respectives réservées au XIXe siècle à Barbey et à Balzac.

Eugénie-Raphaëlle Pelletier, dans L’envers du décor : le discours biographique des manuels scolaires sur Gratien Gélinas et Marcel Dubé, se sert de trois principes axiologiques établis par la sociologue Nathalie Heinich, soit le travail, la responsabilité et le jeu, afin d’étudier d’abord des manuels scolaires québécois parus dans la première moitié du XXsiècle et ensuite ceux publiés au cours des années 1960. Cette analyse en deux temps permet à l’auteure de montrer en quoi les discours pédagogiques s’inscrivent dans le fil de la légitimation « d’un théâtre national » québécois, construit notamment autour des figures de Gélinas et de Dubé.

Dans L’héritage du père : une bibliothèque au milieu du bois, Alexandre Jutras s’intéresse aux figures de l’héritier dans le roman québécois contemporain. Ainsi que le montre Jutras, cette problématique acquiert une profondeur inégalée dans le roman De bois debout (2017), de Jean‑François Caron, où les héritages matériaux et familiaux du héros constituent à bien des égards le moteur narratif du récit. Dans cette situation, les livres et les bibliothèques se présentent comme autant de médiateurs, créateurs d’affinités électives, qui permettent au héros de réconcilier ses héritages contradictoires.

Enfin, dans le cadre d’une entrevue réalisée avec Raphaëlle Décloître, doctorante à l’Université McGill, nous avons eu le plaisir de faire le bilan de ses expériences au CIEL. Raphaëlle Décloître a d’abord contribué à l’édition de 2015 en tant que participante et elle s’est ensuite impliquée dans le comité scientifique de l’édition de 2017. Cet entretien révèle les différentes facettes de ces expériences et les façons dont elles se sont inscrites dans le parcours scolaire et professionnel de Décloître. Nous tenons à remercier notre collègue pour son temps et sa générosité.

Cette entreprise estudiantine n’aurait pu voir le jour sans l’aide et le soutien des professeur·e·s Arnaud Bernadet, Isabelle Daunais, Alain Farah, Benoît Melançon et Denise Brassard, de notre collègue Guillaume Bellehumeur, Émilie Bauduin, Florence Brassard, Sarah Gauthier et Virginie Turcot ainsi que du Département des littératures de langue française, de traduction et de création de McGill. Nous tenons à les remercier pour leur engagement, leur rigueur et leurs conseils. Nous souhaitons également exprimer toute notre reconnaissance à l’équipe de Postures qui a investi du temps et des efforts considérables pour nous permettre de réaliser ce projet. Enfin, nous remercions tou·te·s les participant·e·s qui ont contribué au CIEL 2020 et, surtout, qui ont montré que cette formule alternative a également sa place dans le paysage universitaire québécois.

 

Pour citer cet article: 

Kogut, Magdalena et Marilyne Lamer. 2021. « Le CIEL fête ses vingt-cinq ans! Et après? » Postures, Dossier « Actes du XXVe Colloque interuniversitaire étudiant de littérature (CIEL 2020) », Hors série n°3. En ligne <http://www.revuepostures.com/fr/articles/25-ans-du-ciel-hs3> (Consulté le xx / xx / xxxx).