Pour une anthropologie de la cybernétique : construction et déconstruction identitaire dans le cybermonde. Analyse de Neuromancien, de William Gibson

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Depuis les avancés philosophiques de Descartes s’est progressivement développée dans l’imaginaire une nouvelle conception de l’identité qui, dorénavant, est pensée dans son clivage entre esprit et corps, ce dernier étant réduit, pour ainsi dire, à la simple fonction de support de la conscience. Cette nouvelle vision de l’identité a inévitablement modifié la représentation du corps, qui, auparavant, n’était dissocié ni de l’être ni du cosmos, dont il constitue un fragment. Plus tard, au milieu XXe siècle, à l’apogée de la modernité, les hypothèses, les recherches et les découvertes de certains scientifiques qui ont réfléchi à une intelligence artificielle ont modifié la conception du sujet en instaurant de nouveaux clivages dans la définition de l’identité.

Dans son essai À l’image de l’homme : du Golem aux créatures virtuelles, Philippe Breton explique et commente le discours des trois grands scientifiques qui ont participé à la conceptualisation de l’éventuel ordinateur. Il s’agit principalement de Norbert Wiener, d’Alain Turing et de John Von Neumann. Au sujet de deux d’entre eux, Breton soutient : « La question que posent Alain Turing et John Von Neumann n’est pas de savoir ce que serait un cerveau artificiel, mais plutôt de savoir d’abord ce qu’est l’humain, à travers son cerveau et sa capacité à échanger de l’information. » (Breton, 1995, p. 104) Cette entreprise concernait ainsi davantage la définition de l’homme que la mise au point d’une machine pensante. Et, effectivement, le discours respectif des trois chercheurs inaugure une vision de l’humain où celui-ci est compris comme un « être informationnel, et dont les qualités essentielles sont désormais transférables à la machine. » (Ibid., p. 106) La dichotomie corps / esprit propre à la modernité devient cette trichotomie corps / esprit / machine que les théories postmodernes discutent abondamment.

Dans Neuromancien, de William Gibson, œuvre-culte de la science-fiction cyberpunk, les personnages et les machines entrent en symbiose de diverses manières, plus particulièrement à l’intérieur de cybermondes qui, comme le corps tel que représenté par la modernité, deviennent des supports de l’esprit. Plus encore, ces mondes simulés développent une autonomie qui permet une correspondance entre leurs structures et celles de l’esprit humain.

Seront donc mises en relief ici la représentation et la conception de l’identité que l’on peut dégager de ce récit, issu du cyberpunk, sous-genre de la science-fiction dont la caractéristique principale est de poser le cybermonde comme espace diégétique. Certaines figures et situations de ce roman semblent, en effet, suggérer un discours anthropologique et philosophique sur la définition de l’identité. Les commentaires de Philippe Breton dans son ouvrage théorique précédemment cité, ainsi que les thèses de David Le Breton dans son essai Anthropologie du corps et modernité serviront de support théorique à l’argumentation. Par ailleurs, le concept de simulacre développé par le sociologue dit postmoderne Jean Baudrillard contribuera à dégager le discours sur le contemporain que sous-tend Neuromancien, le propre des théories associées au postmodernisme étant justement, entre autres, de discuter les enjeux et les effets de la modernité.

Peter Riviera et les hologrammes

L’intérêt de commencer l’analyse avec les figures holographiques de Peter Riviera est d’abord de comprendre une partie de la dialectique que propose Neuromancien à partir d’un dispositif moins complexe que l’ordinateur, soit les hologrammes. Ceux-ci permettent la réplique ou la création de formes diverses, ou même d’individus, par projections lumineuses en trois dimensions. Dans le chapitre « Hologrammes » de Simulacres et simulation, Jean Baudrillard suggère : « Après le fantasme de se voir (miroir, photo) vient celui de pouvoir faire le tour de soi-même, enfin et surtout celui de se traverser, de passer à travers son propre corps spectral — et n’importe quel objet holographié est d’abord l’ectoplasme lumineux de votre propre corps. » (Baudrillard, 1981, p. 157) On voit ainsi comment l’hologramme s’inscrit dans la continuité du fantasme de voir incarnée l’image de soi. Cette technologie permet la projection de l’imago dans un support presque immatériel : la lumière.

L’imago est le produit du stade du miroir. Il se construit depuis l’image qu’offre le miroir au petit enfant, celle-ci donnant à l’enfant l’illusion d’une meilleure maîtrise de l’espace puisque la réflexion réduit à deux dimensions la profondeur. L’imago comble ainsi les discordances du moi morcelé et offre au sujet une forme qui exclut son désir. Lacan assure qu’au cours du stade du miroir, le sujet « éprouve ludiquement la relation des mouvements assumés de l’image à son environnement reflété, et de ce complexe virtuel à la réalité qu’il redouble, soit à son propre corps et aux personnes, voire aux objets qui se tiennent à ses côtés » (Lacan, 1966, p. 93). Cette image de soi, chez le psychanalyste, est qualifiée du « terme antique d’imago » (Ibid., p. 94).

Une remarque formulée par David Le Breton au sujet du corps tel que compris par la modernité, dans le sillage du cogito, suggère d’ailleurs un rapprochement entre celui-ci et l’imago : « Le corps devient un miroir, un autre soi-même […]; l’individu est invité à découvrir son corps comme un univers en extension permanente, une forme disponible à la transcendance personnelle. » (Le Breton, 1990, p. 163) Il faut noter que ce rapprochement est audacieux puisque Lacan rappelle, dès l’ouverture du texte précédemment cité, que l’expérience du je en psychanalyse « nous oppose à toute philosophie du Cogito » (Lacan, 1966, p. 93).

L’hologramme s’inscrit donc dans le paradigme des supports qui permettent l’extension de l’être, voire de sa représentation, et dont le cyberespace est, à l’opposé du miroir, l’avancée la plus complexe. Il faut observer que les projections holographiques du hacker Peter Riviera présentent la particularité d’être le fruit de son imaginaire. À son sujet, Case, le héros du récit, affirme : « Ce qu’il imagine, tu le vois. » (Gibson, 1985, p. 109) Cette caractéristique de Riviera propose une correspondance entre le corps holographié et l’imago. S’il en venait à projeter sa propre image, Riviera ne se représenterait pas tel qu’il est, mais bien tel qu’il se perçoit dans son image idéalisée. Que les projections de Riviera soient le produit de son fantasme s’avère notamment confirmé par une description du narrateur : « Puis le torse se forma, à mesure que Riviera le suscitait par ses caresses […] mais ce n’était pas Molly; c’était Molly telle que Riviera se l’imaginait. » (Ibid., p. 166) Ainsi, ce n’est pas la personne qui est répliquée dans l’hologramme, mais vraisemblablement la représentation de la personne telle que désirée par celui qui crée la projection lumineuse.

Dixie le Trait-plat et la mémoire morte

Si l’hologramme permet la projection du désir et de la mémoire de Riviera, c’est surtout à partir de la figure laborieuse et ambiguë du Trait-plat, Dixie, qu’il est possible de dégager un discours sur la conscience et, de surcroît, sur la mémoire. Le Finnois, Muetdhiver, personnage auquel est consacré le segment ultérieur de cette analyse, lance effectivement à Case : « Le paradigme holographique est ce que vous avez de plus proche d’une représentation de la mémoire humaine. » (Ibid., p. 202) Mais l’hologramme, bien qu’il puisse reproduire l’individu en trois dimensions, ne peut qu’imiter le signifiant identitaire, la forme, et non pas le signifié, le contenu. L’information dont le sujet est porteur s’avère donc, à l’intérieur de ce médium de projection, non reproductible. La figure du Trait-plat constitue ainsi un double antithétique des images holographiques : il est une conscience dépourvue de corps, un signifié humain sans signifiant, une mémoire itinérante à l’intérieur du cybermonde.

Dixie, l’adjuvant qui aide Case dans sa quête, celle de pénétrer au cœur du réseau informatique d’une multinationale, apparaît comme le prolongement cybernétique de l’information contenue dans l’esprit d’un homme mort, un programme qui contient la mémoire d’un être, mais qui, dans son interaction avec Case et l’évolution de leur relation, semble vraisemblablement doté d’une conscience. Le narrateur extradiégétique affirme : « Il était dérangeant d’imaginer le Trait-plat sous la forme d’un construct, [soit] une cartouche de mémoire câblée qui répliquait les talents d’un mort, ses obsessions, ses réactions, ses réflexes… » (Ibid., p 94) Dixie, simulacre dont l’efficacité est notoire, incarne ainsi davantage que ce que souhaitaient certains des premiers chercheurs en cybernétique. En effet, cette capacité du Trait-plat à imiter l’être conscient semble démentir le postulat de l’un d’entre eux, Jefferson, qui « soutient que la machine ne peut égaler le cerveau, puisqu’il lui manque d’éprouver, non seulement des sentiments, mais également le savoir » (Breton, op.cit., p. 126).

L’aptitude à réfléchir et à ressentir dont jouit cette cartouche de mémoire qu’est Dixie répondrait effectivement mieux à la thèse divergente de John Von Neumann, qui propose « que la mémoire soit conçue comme le véritable siège du raisonnement, comme le lieu où les mouvements de l’information produisent la réflexion consciente » (Ibid., p. 136). Mais il s’agit là d’une représentation de la conscience qui peut être réfutée par une nuance que pose la définition suivante : « La conscience […] n’est pas […] une mouvante multiplicité de “données”, d’“états” ou de “contenus”. » (Collectif, 2000, p. 236) À l’intérieur de la même définition, la conscience est effectivement abordée comme « l’organisation dynamique et personnelle de la vie psychique : elle est cette modalité de l’être psychique par quoi il s’institue comme sujet de connaissance et auteur de son propre monde » (Ibid.).    

Ce serait donc le traitement d’affects qui distingue l’être conscient et l’ordinateur, bien que tous deux soient dotés d’une mémoire. Mais à cet effet, peut-on vraiment attribuer à cette figure ambiguë qu’est Dixie la faculté de ressentir des émotions, si l’on tient compte de ce passage où Case demande au Trait-plat : « Es-tu sensible, oui ou non? » (Gibson, 1985, p. 157), et où son interlocuteur lui répond : « Eh bien, c’est tout comme, gamin, mais je ne suis jamais pourtant qu’un paquet de mémoire morte » (Ibid.)? Cette affirmation nous reconduit par conséquent au simulacre. L’énoncé de Dixie sous-entend que la capacité de celui-ci à simuler la sensibilité équivaut à une sensibilité véritable, ce qui peut être compris par une affirmation de Breton : « Peu importe si la machine pense ou non, l’important c’est qu’elle se comporte comme si elle pensait. » (Breton, 1995, p. 126)

C’est pourtant davantage la définition de la conscience qui semble être ici remise en question. Toujours en se référant à l’une des définitions offertes dans un dictionnaire de la philosophie, on peut effectivement dégager que cette particularité du construct illustre une conception de la conscience comme « artifice » (Ibid., p. 236). Partant, cette perspective induit une correspondance entre le réseau cybernétique et l’identité, tous deux étant des entités capables de produire des artifices, de reproduire la réalité par le biais de l’artifice. Philippe Breton n’assure-t-il pas que, dans le sillage de la cybernétique, « le grand mystère de la différence entre l’homme et la machine va être rabattu sur une indifférenciation entre le naturel et l’artificiel » (Ibid., p. 119)?

Muetdhiver, Armitage et Corto

Le discours qui se dégage de la figure d’Armitage, le patron, s’avère très semblable à celui développé autour du Trait-plat. Néanmoins, étant donné la genèse plus complexe de ce personnage, la valeur symbolique de celui-ci est plus riche, mais également plus difficilement définissable. Armitage est le modèle de personnalité dans lequel s’incarne Muetdhiver, un programme. Cette personnalité simulacre recouvre celle de l’ancien commandant Corto, dont on a effacé la mémoire. Il s’agit, comme l’énonce le narrateur, d’une « entité potentielle, […] un aspect du cerveau de cette entité » (Gibson, 1985, p. 144). Dans l’univers de Neuromancien, il est en effet possible d’agir par feed-back autant sur les individus que dans les ordinateurs.

Alors qu’il est possible de voir dans les diffusions holographiques une projection de l’imago, de l’image désirée de soi, l’incarnation du programme Muetdhiver en Armitage correspondrait à une illustration de la persona. Celle-ci est ce personnage social que se crée tout individu de façon à s’adapter aux exigences de la société tout en répondant aux impératifs du Moi. Carl Gustav Jung assure en effet que la persona « dissimule une partie de la psyché collective dont elle est constituée, et donne l’illusion de l’individualité » (Jung, 2002, p. 84). La figure d’Armitage peut néanmoins encore être comprise comme une représentation de l’image du corps dans la modernité, représentation qui, selon David Le Breton, est « la façon dont il [le corps] lui [le sujet] apparaît plus ou moins consciemment à travers un contexte social et culturel particularisé » (Le Breton, 1990, p. 150).

À partir de cette différence considérable, qui distingue Armitage du Trait-plat et qui consiste en une aptitude à prendre forme dans un corps matériel, il est possible d’établir, avec Le Breton toujours, que « le corps […] c’est la trace la plus tangible du sujet » (Ibid., p. 159). La nature d’Armitage semble même répondre à la définition wienerienne de l’identité, qui trace une filiation depuis l’homme jusqu’à l’ordinateur : « …derrière l’apparence physique, chercher le mental, derrière le mental l’être informationnel et derrière celui-ci, peut-être cette machine à états discrets infinie [l’ordinateur] assimilable, si elle est effectivement exhaustive, à l’univers tout entier. » (Breton, 1995, p. 123) Cette définition pourrait très bien décrire la structure d’Armitage, puisqu’il est une conscience contenue dans un programme informatique qui en réplique les caractéristiques, programme qui est recouvert par une forme humaine. Cette poupée russe mi-cybernétique, mi-humaine est donc un signifiant humain dont le signifié informatique reproduit un autre signifié humain.

Le cyberespace : lieu d’incarnation, paramètre de réalité

Maintenant qu’a été évoquée la mise en abîme identitaire dont Armitage est le produit, il est intéressant de remarquer combien la vision de l’identité qu’avait Alan Turing, dont le patronyme désigne d’ailleurs l’une des cités de Neuromancien, peut renvoyer explicitement au dénouement du récit : « Retirez les peaux de l’homme pour chercher l’être réel, vous ne trouverez rien. » (Ibid., p. 127) Effectivement, certaines descriptions du narrateur à la fin du récit suggèrent que l’ensemble de la diégèse raconte un voyage cybernétique, que les péripéties du roman se déroulent toutes dans des mondes simulés qui s’emboîtent. Certains indices permettent même de voir en Case un programme informatique qui, comme Muetdhiver, se serait incarné en une personnalité dont on aurait effacé la mémoire. Mais, contrairement à Armitage, Case n’est pas conscient d’être un programme incarné en une personne qui contient une mémoire morte. À cet effet, le nom du héros est porteur de sens, le terme anglais case pouvant se traduire par « caisse », « boîte » ou « valise ».

Un énoncé formulé par Armitage à l’endroit de Case au début du roman : « On vous a inventé en Sibérie, Case » (Gibson, 1985, p. 36), porte même à supposer qu’il serait le produit du programme russe Point-hurlant. Ce dernier est le programme-virus auquel Case a la mission de s’attaquer, un programme qui a été récupéré par une multinationale pour faire s’effondrer le système de communication, le réseau. Qu’il soit le seul hormis Muetdhiver à pouvoir faire voyager sa conscience à l’intérieur d’autres corps, notamment celui de Molly, contribue certainement à confirmer l’hypothèse que Case est un programme informatique.

Ce passage, où le narrateur commence à donner quelques signes aux lecteurs quant à la nature véritable du héros, paraît décrire symboliquement l’aliénation de l’humain dans la modernité, son dualisme corps / esprit : « Et il [Case] se retrouva en train de contempler, par l’œil intact de Molly, un visage livide et ravagé […]. L’homme qu’il était en train de contempler, c’était lui. » (Ibid., p. 304-305) C’est de cette façon que Case porte un regard satellitaire sur son corps, comme s’il en était dissocié. On reconnaît ici une autre illustration de la persona, telle que comprise par C. G. Jung : « Certes, nous pouvons imaginer que nous possédons des âmes parcellaires et nous les représenter. Ainsi, nous pouvons, par exemple, sans difficulté, nous voir sous les traits de notre persona. » (Jung, 2002, p. 122)

Néanmoins, il est possible de soutenir que ce passage, où Case a une perception extérieure de son propre corps, constitue non seulement une métonymie de la dissociation relative à l’élaboration d’une persona, mais également une brillante métaphore du dualisme identitaire propre à la modernité, celui entre corps et esprit. L’anthropologue Le Breton stipule effectivement que « le corps de la modernité ressemble à un vestige » (Le Breton, 1990, p. 169), après avoir suggéré que « le corps se détache du sujet et peut, à la limite, mener seul son aventure personnelle » (Ibid., p. 164). Ce n’est pourtant pas son corps qui se détache de l’esprit de Case, mais, à l’inverse, son esprit qui transcende la corporalité, voyageant à sa guise dans le cybermonde pour, au retour, découvrir un corps en ruines.

Ce clivage identitaire chez le héros, qui relève de la perception extérieure que celui-ci a de son corps, se fait beaucoup plus complexe quand, à la fin du récit, Case, qui croit être sorti de la matrice cybernétique, s’aperçoit en compagnie de Riviera et de Molly « à l’extrême lisière de l’un des vastes niveaux de données » (Gibson, 1985, p. 319). Si elle traduit manifestement combien « la version moderne du dualisme oppose l’homme à son corps » (Le Breton, 1990, p. 230), cette conclusion du récit démontre également ce qui avait été retenu par les premiers expérimentateurs de la cybernétique, et que Breton résume ainsi :

Ce qu’il y a avec l’ordinateur, c’est qu’on finit par ne plus savoir où est le dedans et où est le dehors [dixit Sherry Turkle]. Cette hallucination est en quelque sorte réaliste puisque ceux qui l’éprouvent voient dans la créature ce qu’elle porte effectivement, l’humain qui y est représenté par détour. (Breton, 1995, p. 166)

Plus encore que par analogie entre les structures qui les composent et leur fonctionnement, comme l’entendaient les pères de l’informatique, dans cette représentation d’un monde cybernétique qu’est Neuromancien, l’esprit de l’homme et la machine ne font pas que se représenter, ils s’incarnent mutuellement, ce qui produit la trichotomie identitaire corps / esprit / machine. Et Gibson, par le biais d’une réplique d’un personnage, affirme combien efficacement le simulacre remplace le réel : « Tu t’es trompé, Case. Vivre ici, c’est vivre pour de vrai. Il n’y a pas de différence. » (Gibson, 1985, p. 308)

Il serait possible de relever une pléiade d’éléments qui, dans Neuromancien, contribuent à articuler le discours et les paradoxes qu’explore Gibson par voie allégorique quant au simulacre et au dualisme identitaire moderne. La présente analyse a néanmoins permis d’établir que l’identité des personnages du récit se construit et se déconstruit à l’intérieur du simulacre informatique, ou par le biais de celui-ci, la perméabilité avec le réseau cybernétique produisant une trichotomie identitaire entre corps, esprit et machine.

Il aurait pu être intéressant, dans une autre perspective d’analyse, d’étudier le discours sur l’écriture et sur la science-fiction que sous-tend Neuromancien, en partant d’une affirmation que formule Baudrillard, toujours dans Simulacres et simulation : « Lorsque la carte [ou ici le réseau] couvre tout le territoire, quelque chose comme le principe de réalité disparaît […], c’est la fin de la science-fiction, c’est l’ère de l’hyperréalité qui commence. » (Baudrillard, 1981, p. 181) Cette approche permettrait de questionner la littérarité de l’œuvre qui, selon cette optique, serait, plus qu’une allégorie science-fictionnelle de l’aspect hyperréel de notre société actuelle, un hyper-hyperréel décrivant une posthumanité virtuelle.

 

Bibliographie

Œuvre à l’étude

GIBSON, William. 1985. Neuromancien. Coll. « S-F », Paris : J’ai lu, 319 p.

Ouvrages théoriques et de référence

BAUDRILLARD, Jean. 1981. Simulacres et simulation. Paris : Galilée, 233 p.

BRETON, Philippe. 1995. À l’image de l’homme : du Golem aux créatures virtuelles. Coll. « Science ouverte », Paris : Seuil, 187 p.

JUNG, Carl Gustav. 2002 [1964]. Dialectique du Moi et de l’inconscient. Coll. « Folio essais », Paris : Gallimard, 287 p.

LACAN, Jacques. 1966. « Le stade du miroir comme formateur de la fonction du Je ». Écrits, Paris : Éditions du Seuil, p. 93-100.

LE BRETON, David. 1990. Anthropologie du corps et modernité. Coll. « Quadrige », Paris : PUF, 263 p.

Collectif. 2000. Dictionnaire de la philosophie. Paris : Encyclopædia Universalis; Paris : Albin Michel, 2041 p.

 

Pour citer cet article: 

Bourque, Guillaume. 2006. «Pour une anthropologie de la cybernétique : construction et déconstruction identitaire dans le cybermonde. Analyse de Neuromancien, de William Gibson», Postures, Dossier «Espaces inédits: les nouveaux avatars du livre», n°8, En ligne <http://revuepostures.com/fr/articles/bourque-8> (Consulté le xx / xx / xxxx). D’abord paru dans : Bourque, Guillaume. 2006. «Pour une anthropologie de la cybernétique : construction et déconstruction identitaire dans le cybermonde. Analyse de Neuromancien, de William Gibson», Postures, Dossier «Espaces inédits: les nouveaux avatars du livre», n°8, p. 91-101.