Réfléchir les espaces critiques : consécration, lectures et politique du littéraire

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Chaque écrivain qui naît ouvre en lui le procès de la littérature.
– Roland Barthes, Le degré zéro de l’écriture

À l’occasion de la septième édition de son colloque annuel, intitulé « Réfléchir les espaces critiques : consécration, lectures et politique du littéraire », l’Association étudiante des cycles supérieurs en études littéraires de l’UQAM (AECSEL-UQAM) a invité les jeunes chercheuses et les jeunes chercheurs à interroger les différents types d’espaces critiques liés à la littérature. Ce sont les actes de ce colloque ayant eu lieu le 7 avril 2016 que nous reproduisons ici pour notre 24e numéro.

Mécanique

De quelle manière la critique fonctionne-t-elle ? Quels sont ses dispositifs ? Les textes qui ouvrent le dossier ont pour objet les mécanismes et stratégies de la critique – celle qui se désigne comme telle et celle qui se déploie au sein de textes littéraires.

Dans son article, Gabrielle Giasson-Dulude interroge le lieu de négociation entre pensée et corps qui se construit au sein de la pratique essayistique. C’est effectivement l’état de présence de l’essayiste à même son texte qui, pour Giasson-Dulude, transforme l’écriture en expérience vécue. Cette conception ne manque de faire de l’essai un espace critique singulier et nécessaire : remettant en cause le morcèlement des êtres, l’essayiste chercherait à renverser le cloisonnement de la pensée caractérisant son époque.

Comment s’articulent vrai et beau dans l’œuvre de Musset ? Cette question se trouve au cœur du texte de Jordan Diaz-Brosseau, qui relève chez le poète et dramaturge français l’existence d’une esthétique de la vraisemblance. Étudiant d’abord certains procédés rhétoriques, puis la lecture inductive que cette esthétique permet, Diaz-Brosseau montre en quoi l’écriture de Musset est porteuse d’une valeur critique par sa recherche d’« images sous les mots » et par son intégration à la mémoire.

Valérie Savard, quant à elle, se penche sur la notion de « formes de vie ». En nous conviant à une exploration fine de la place prise par ce concept chez Yves Citton, Nicolas Bourriaud et Richard Rorty, Savard tente de déterminer le rôle des formes de vie dans le cadre spécifique de la critique littéraire et artistique. Par la même occasion, elle cherche à voir les implications de cette notion sur l’étude de l’individu et de la société dans l’œuvre. 

Politique

Le politique se trouve inévitablement au cœur des espaces critiques, à travers leurs acteurs et les discours qu’ils produisent, ce que ne manquent pas de souligner certains articles de notre dossier.

Sandrine Bourget-Lapointe s’intéresse pour sa part aux bio-graphiques (c’est-à-dire les biographies qui utilisent le médium graphique, soit le roman graphique, la bande dessinée ou le zine), et plus particulièrement aux bio-graphiques féministes. À travers une lecture d’Ainsi soit Benoite Groult (Catel Muller), Bourget-Lapointe propose une définition du genre, pour ensuite l’interpréter comme une stratégie singulière de transmission de l’histoire féministe.

De son côté, Camille Toffoli interroge la querelle qui oppose Éric Marty et René de Ceccatty autour de la question de l’antisémitisme dans l’œuvre de Jean Genet. Comment ce conflit dissimule-t-il des questions plus larges à propos des champs littéraire et politique français ? L’auteure montre que la controverse concernée révèle avant tout les implications politiques et idéologiques qui sous-tendent l’acte de lecture lui-même lorsqu’il touche à des questions qui relèvent du sens commun.

Marie-Pier Tardif se penche finalement sur la question de l’antiféminisme latent qui imprègne les milieux anarchistes de la France révolutionnaire. Elle s’attache à démontrer, par une lecture collée au texte, la manière dont André Léo, dans son roman Marianne, parvient à mettre en scène une réelle politique de l’amitié et de l’égalité entre les sexes à partir de la transformation du couple hétérosexuel normatif.  

Consécration

Le dossier se clôt sur des textes cernant les phénomènes de consécration – ou au contraire d’occultation – dont font l’objet les œuvres littéraires lorsqu’elles passent par le filtre des espaces critiques.

Soline Asselin nous plonge dans un débat critique à propos de la réception internationale d’un ouvrage norvégien : Min kamp, écrit par le Norvégien Karl Ove Knausgård. Chef-d’œuvre ou blockbuster ? Depuis la parution des six premiers tomes, entre 2009 et 2011, la question ne cesse d’être relancée. Pour y répondre, Asselin analyse un éventail de textes publiés dans des journaux et revues tant grand public que littéraires, provenant de Norvège, d’Angleterre, des États-Unis, de la France et du Québec.

Amandine Demême-Thérouin s’intéresse à l’étude d’espaces critiques atypiques ayant contribué à bâtir des carrières littéraires : les salons de l’Ancien Régime. Par l’analyse des rituels constitutifs de ces lieux de rencontre, l’auteure montre comment ces derniers ont permis la naissance d’une critique littéraire orale, alors qu’ils adoptaient à la fois la position de tribunaux littéraires et de comités rédactionnels. Plus encore, ces salons ont permis aux femmes d’accéder à une autorité littéraire et culturelle, jusqu’à devenir le passage obligé pour quiconque souhaitait une certaine reconnaissance dans le monde des lettres.

Dans les années 1970, le roman Monsieur le Président, de l’écrivain guatémaltèque Miguel Ángel Asturias, a vu son statut passer d’héritier à fondateur d’une certaine tradition littéraire du roman de dictateur. Ce changement radical dans la réception de l’œuvre est attribuable à la critique, nous explique Roxane Maionara dans l’article qui clôt le dossier. L’auteure met en contexte et explique les causes possibles de cette « refiguration » du roman.

L'équipe de Postures remercie chaleureusement les membres des comités de rédaction et de correction, qui ont travaillé bénévolement à l’élaboration de ce numéro. Nous remercions les partenaires financiers qui permettent à Postures d'exister et d’offrir un espace de partage et de diffusion riche et stimulant aux jeunes chercheuses et jeunes chercheurs. Un grand merci à Figura, Centre de recherche sur le texte et l'imaginaire, à l'Association Facultaire des Étudiants en Arts (AFEA), à l'Association Étudiante du Module d'Études Littéraires (AEMEL), à l'Association Étudiante des Cycles Supérieurs en Études Littéraires (AECSEL).

Enfin, Postures exprime toute sa reconnaissance aux auteur.e.s pour leur travail, ainsi qu'à Mme Lucie Robert, professeure au Département d'études littéraires à l'UQAM, pour son excellente préface à ce numéro.

 

Pour citer cet article: 

Bergeron, Étienne, Bordeleau-Pitre, Émile et Savard, Valérie. 2016. « Réfléchir les espaces critiques : consécration, lectures et politique du littéraire », Postures, Actes du colloque «Réfléchir les espaces critiques : consécration, lectures et politique du littéraire», En ligne <http://revuepostures.com/fr/articles/bergeron-24> (Consulté le xx / xx / xxxx).