La sexualité des personnages est centrale dans l’œuvre d’Abdellah Taïa, écrivain marocain d’expression française : ses narrateurs autofictionnels sont souvent des hommes homosexuels qui quittent le Maroc pour poursuivre leur vie en Europe, notamment en France ou en Suisse, et qui racontent leurs liens affectifs et familiaux. Plus précisément, l’écriture de Taïa s’attache à déceler les possibilités d’expression de l’intimité sexuelle de ses personnages considérés à la marge, à la fois sexuelle et raciale.
L’espace est quant à lui un enjeu omniprésent dans ses romans, dans la mesure où les protagonistes vivent tous un processus d’immigration. Ce déplacement dans l’espace implique une dissociation entre les lieux de l’enfance et ceux de l’âge adulte, mais aussi une remise en question, parfois radicale et douloureuse, de l’identité intime. L’espace joue d’ailleurs un rôle fondamental dans l’empêchement ou dans le développement de cette intimité : dans quels lieux peut-on se sentir à l’aise et suffisamment à l’abri pour exprimer nos désirs? Où peut-on partager notre intimité avec les autres sans encourir de risques? Ce sont ces questions qui traversent l’œuvre de Taïa.
Dans le cadre de cet article, je souhaite analyser le rôle de l’espace dans l’expression de l’intimité sexuelle dans trois romans d’Abdellah Taïa, à savoir Le rouge du tarbouche (2004), L’armée du salut (2006) et La vie lente (2019). Dans les deux premiers, le narrateur Abdellah se remémore son enfance au Maroc, où le noyau familial constitue à la fois une protection et un piège : le jeune Abdellah éprouve une fascination érotique pour son grand-frère Albdelkébir, dont la chambre constitue le lieu par excellence de l’intimité et de la découverte du désir sexuel. Entretemps, le narrateur habite désormais en Europe (à Paris dans Le rouge du tarbouche et à Genève dans L’armée du salut) et éprouve une grande solitude. Dans le cas de La vie lente — le dernier roman en date de Taïa —, le narrateur, Mounir, habite à Paris et a quarante ans quand il fait la rencontre d’Antoine dans les transports en commun; cet épisode le ramène vingt-cinq ans en arrière, où dans un bus de Rabat un homme plus âgé l’avait approché1.
La composition de ce corpus vise à montrer à quel point, des débuts littéraires de Taïa jusqu’à son dernier roman, l’espace et son appropriation demeurent des enjeux fondamentaux de son œuvre. En commençant par l’intérieur du foyer familial à Salé, premier lieu qui fait barrage à l’actualisation de l’intimité du narrateur et du reste des membres de la famille, il s’agira de passer par la chambre du grand frère, premier abri qui permet au narrateur d’appréhender son corps ainsi que son désir homosexuel. J’étudierai ensuite la façon dont est dépeint le « chez soi » à l’âge adulte à Paris, des années après le mouvement de migration, et les difficultés qu’il éprouve à s’y sentir en sécurité. Je terminerai enfin par l’analyse de l’espace public urbain, afin de comprendre dans quelle mesure l’écriture de Taïa s’inscrit dans le sillage de la mythologie homosexuelle urbaine.
Sans la maison, nous dit Gaston Bachelard, « l’homme serait un être dispersé. Elle maintient l’homme à travers les orages du ciel et les orages de la vie. Elle est corps et âme. Elle est le premier monde de l’être humain » (1957, 35); elle « abrite la rêverie », « protège le rêveur » et elle « nous permet de rêver en paix » (34). Ces attributs semblent faire cruellement défaut à la description du foyer familial dans L’armée du salut, l’un des premiers romans de Taïa, qui commence justement par évoquer l’atmosphère à la fois étouffante et impudique de la maison à Salé :
Un rez-de-chaussée de trois pièces, une pour mon père, une autre pour mon grand frère Abdelkébir et la dernière pour nous, le reste de la famille : mes six sœurs, Mustapha, ma mère et moi. Il n’y avait pas de lits dans cette pièce-là, juste trois banquettes qui servaient, le jour, de canapés du salon. On vivait tout le temps dans cette pièce, où il y avait aussi une vieille armoire gigantesque, monstrueuse, les uns sur les autres (Taïa 2006, 11-12).
L’espace du jeune narrateur Abdellah est partagé avec sa fratrie hormis le frère aîné qui, comme je le montrerai, joue un rôle à part au sein du foyer; son horizon intime est aussitôt réduit à une seule pièce et s’estompe dans un « nous » désignant « le reste de la famille » indifférencié : « [p]endant plusieurs années […] l’essentiel de ma vie s’est déroulé dans cette pièce qui donnait sur la rue. Quatre murs qui ne protégeaient pas vraiment des bruits de l’extérieur » (12). Il convient de remarquer que la narration met de l’avant le syntagme « pièce », terme générique où l’usage précis de l’espace n’est pas spécifié, et non pas « chambre », pièce aménagée pour le sommeil et qui indique un espace plus privé et intime. Par ailleurs, la mère partage avec ses enfants le même espace : « [e]lle dormait toujours avec nous, au milieu de nous » (11), explique le narrateur en insistant sur l’horizontalité des liens qui la placent « au milieu » de ses enfants, ainsi qu’au milieu, d’un point de vue syntaxique, des compléments d’objets indirects (« mes six sœurs, Mustapha, ma mère et moi »). La présence de la mère dans cette troisième pièce est suggérée par ses ronflements nocturnes qui, initialement, empêchent ses enfants « d’entrer tranquillement dans les rêves » (11). En étant « les uns sur les autres », ils ne parviennent pas à s’éloigner, ne serait-ce que pour quelques instants, de la présence des autres, contraints de cohabiter étroitement et de tout partager.
Le bruit et, de manière générale, les sensations auditives s’inscrivent dès le début de l’œuvre de Taïa dans les espaces qui sont censés protéger l’intimité des personnages : qu’il s’agisse des bruits de la rue ou de ceux des autres membres de la famille, ils ne cessent de rappeler au narrateur la présence d’autrui et d’entraver son accès à la tranquillité. Les bruits des autres sont porteurs de leur intimité et dévoilent ce qui devrait être tu : en évoquant la pièce du père, le narrateur explique que « [c]'est là que mes parents faisaient l’amour. Cela leur arrivait au moins une fois par semaine. On le savait. On savait tout à la maison » (12). Dans ce cas, l’intimité sexuelle des parents s’exprime au vu et au su de leurs enfants, ce qui a un impact sur les rêves, sur les fantasmes et sur l’imagination du narrateur : « [c]ertains jours, mon imagination s’aventurait facilement et avec une certaine excitation sur ce terrain torride et légèrement incestueux » (14), ou encore : « [d]ans ma tête, la réalité de notre famille a un très fort goût sexuel, c’est comme si nous avions tous été des partenaires les uns pour les autres, nous nous mélangions sans cesse, sans aucune culpabilité » (15). L’intimité des parents devient celle de toute la famille, générant une atmosphère paradoxale : le sexuel est partout et l’intimité, nulle part.
Cette configuration spatiale de l’intimité peut également être envisagée comme un droit dont le narrateur est privé : le droit à l’individualité et à la différenciation du « reste de la famille » n’est accordé qu’au fils aîné Abdelkébir ainsi qu’au père. L’omniprésence du regard (et de l’ouïe) familiale me rappellent le destin de Tereza, l’une des personnages principaux de L’insoutenable légèreté de l’être de Milan Kundera :
Au temps où elle habitait chez sa mère, il lui était interdit de s’enfermer à clé dans la salle de bains. Pour sa mère, c’était une façon de lui dire : ton corps est comme tous les autres corps; tu n’as pas le droit à la pudeur; tu n’as aucune raison de cacher quelque chose qui existe sous une forme identique à des milliards d’exemplaires […]. Depuis l’enfance, la nudité était pour Tereza le signe de l’uniformité obligatoire du camp de concentration, le signe de l’humiliation (1984, 75).
Dans le cas de Tereza, ses tentatives de créer une intimité pour elle-même en s’enfermant dans un espace où elle ne peut pas être vue échouent systématiquement, dans la mesure où elles représentent sa volonté, et donc la menace potentielle de s’éloigner du noyau familial et d’exister en tant que sujet à part entière. La nudité, envisagée comme une forme de dictature de l’identique, est un rappel constant que son corps ne lui appartient pas. Dans le cas du jeune Abdellah, la nudité correspond plutôt aux bruits des autres porteurs d’une sensorialité (les ronflements) et d’une sexualité (les rapports sexuels des parents) qui pénètrent son imagination et ses pensées, le jour comme la nuit. Son corps ne lui appartient pas non plus, dans la mesure où il est habité par l’intimité sexuelle des autres.
Le narrateur et le reste de sa fratrie ne se limitent pas à un rôle passif d’écoute, car les parents les convoquent constamment, de façon active, dans leur joute :
Très souvent les nuits d’amour de mes parents finissaient dans le vacarme. Mes parents se disputaient après l’amour. Bruyamment. Violemment. C’était toujours la même histoire qui se répétait. Une histoire vieille et qui ne mourrait jamais. Les cris de ma mère hystérique, possédée, hors d’elle, nous réveillaient en pleine nuit (Taïa 2006, 15).
Il ajoute : « [o]n entendait tout. La voix très forte de [ma mère] remplissait tout l’espace et portait très loin, les moindres détails de son histoire étaient livrés à nous, les proches comme les lointains, les amis comme les ennemis » (21). Non seulement le bruit est-il omniprésent dans le foyer familial, mais il sature l’espace, engendrant une sensation d’enfermement et d’étouffement. Ici, le cri efface deux dimensions : temporelle, dans la mesure où la même scène tend à se répéter sans variations, ainsi que spatiale, puisque l’opposition entre la pièce du père et les autres pièces, entre l’intérieur de la maison et l’extérieur, est abolie. Le narrateur est alors relégué au même plan que les voisins, les autres, ce qui ne fait qu’accentuer l’absence de protection. Dans ce contexte, les enfants cherchent à sauver leur mère, terrorisés à l’idée que leur père puisse la tuer dans un accès de colère, en se ruant devant la porte fermée à clé de la pièce du père :
On frappait fort. On criait aussi. Et, toujours, on finissait par défoncer la porte qui était devenue avec le temps fragile, vidée de son intérieur. Une porte sans tripes, un cadre vide. On les retrouvait tous les deux, honteux comme deux enfants qu’on surprend en train de se livrer à des jeux interdits (23).
La porte, ce qui est censé délimiter des espaces et, par conséquent, les intimités de tout un chacun, cède sous la pression du groupe. En ce sens, la porte ne peut pas protéger celles et ceux qui se cachent derrière. Elle peut également représenter, par ses attributs vivants, le manque de courage et de consistance du couple parental (« sans tripes ») : les parents n’arrivent pas à préserver leurs enfants de leur situation conjugale, et n’arrivent pas non plus à se préserver de l’intrusion systématique des enfants qu’au contraire ils favorisent. La joute sexuelle et la scène violente qui en découle est donc une affaire de famille, où tout le monde participe à sa façon et où les limites, tant générationnelles qu’individuelles, sont sans cesse dépassées.
Au sein de la famille que Taïa met en scène au fil de ses romans, le grand frère et fils aîné Abdelkébir joue un rôle central, au détriment de la figure paternelle. Dans une maison où tout est partagé et rien n’est secret, et où la fratrie constitue un ensemble indifférencié, Abdelkébir est le seul à avoir le droit d’exprimer et de conserver son intimité. Tant dans Le rouge du tarbouche que dans L’armée du salut, il représente un havre de paix, un lieu de répit où le narrateur peut se ressourcer et apprendre à se connaître. Abdelkébir est un vecteur d’intimité de deux manières : premièrement, sa chambre (et non pas « pièce » comme pour les deux autres espaces domestiques) est un lieu où le jeune narrateur peut exprimer son intimité sexuelle, découvrant peu à peu son homosexualité et ses fantasmes qui, comme nous l’avons vu plus haut, sont imprégnés de l’atmosphère familiale incestueuse. Deuxièmement, le corps même du grand frère est un espace au contact duquel le narrateur découvre son propre corps et ses désirs.
Le narrateur est accoutumé à s’introduire dans la chambre d’Abdelkébir à son insu :
Il n’était plus à la maison aussi souvent qu’avant, ce qui me laissait […] le temps de pénétrer l’intimité de sa chambre et d’y passer des petits moments. J’y entrais par la fenêtre : comme s’il avait des choses à cacher, il fermait toujours la porte à clé […]. La certitude de ne pas être dérangé et la chaleur douce, caressante, qui régnait en permanence dans cette chambre installaient en moi une certaine confiance. J’osais alors affronter mon image, mon corps et je finissais par me donner à moi-même. Je me réconciliais avec Abdellah (Taïa 2004, 22-23).
Le mouvement initial qui motive l’intrusion dans la chambre semble résulter du besoin de tout savoir de l’autre : le narrateur paraît étonné que le frère ferme sa porte lorsqu’il n’est pas là, car une porte fermée sous-entend qu’il aurait quelque chose à cacher. Mais à l’instar de la porte du père, qui peut être aisément forcée si besoin, la porte d’Abdelkébir ne protège pas vraiment son intimité en son absence. Néanmoins, le narrateur trouve dans cette chambre un abri, une cachette qu’il ne peut pas avoir dans la pièce commune : comme son grand frère, il a besoin d’un lieu qui lui est entièrement consacré, où il peut exprimer ses goûts et ses intérêts et où il peut loger des parties de lui (les livres, les cassettes, la chaîne hi-fi, les vêtements). Dans ce passage, ainsi que dans les autres où le narrateur se trouve dans cette chambre, il n’est pas fait mention des bruits ou des cris de la maison ou de la rue : en ce sens, la musique permet de couvrir les bruits de l’extérieur et de créer une atmosphère privée, en saturant l’espace de sons. Comme l’évoque le narrateur, la chambre d’Abdelkébir réunit les conditions nécessaires pour que son intimité puisse s’exprimer : « la certitude de ne pas être dérangé » ou, pour le dire autrement, la garantie que d’autres membres de la famille ne viennent interrompre cet instant, permet à Abdellah de lâcher prise et de plonger dans sa propre individualité. En choisissant de se regarder dans le miroir, il porte un regard extérieur sur lui-même et découvre son corps, mais pour que cela soit possible, il faut qu’il renonce aux regards des autres qui sont omniprésents et dont il peine à se défaire dans cette maison :
Je m’éloignais un peu du miroir pour découvrir tout le reste de mon corps que je ne connaissais pas vraiment bien au début de ces retraites particulières […] Ma peau : à part celle qui recouvre mes mains, mes pieds et mon visage, je ne la connaissais pas non plus. J’enlevais mes vêtements pour la toucher (je passais mes mains sur le ventre, le torse, les seins, la nuque, les cuisses, les fesses, le sexe), la saluer, l’embrasser, la goûter (23-24).
Lors de ces instants précieux pour le narrateur, les sensations auditives s’estompent et cèdent la place au toucher : en énumérant les parties du corps que le narrateur découvre sous ses propres mains, le texte fait exister cette peau jusque-là absente ou dissimulée. C’est en ces moments-là qu’il se masturbe tout en se regardant dans le miroir : « toujours moi et mon corps nu dans les abîmes de ce dernier, en sueur, haletant, heureux » (25). À l’abri des autres et plongé dans sa solitude, il affirme : « j’étais beau, réellement beau. Personne au monde ne pouvait contester cette vérité » (25).
Si la chambre du frère absent permet au narrateur de se découvrir et de trouver en lui-même un érotisme sensoriel et un plaisir sexuel, la présence d’Abdelkébir n’est pas pour autant effacée : au contraire, c’est ce que le jeune Abdellah recherche, notamment dans L’armée du salut. L’odeur semble être, avec le toucher, ce qui déclenche en lui des désirs sensuels :
Je baignais dans l’odeur forte d’Abdelkébir, son odeur d’homme : je l’adorais, je me vautrais dedans, je la mélangeais à la mienne et j’inspirais profondément […] Sous sa bibliothèque il cachait des slips qui avaient une odeur particulière et étaient tachés de blanc à l’intérieur (Taïa 2006, 35).
Les traces du grand frère deviennent une expérience sensorielle et érotique à part entière : tout ce qui lui appartient et qui vient de lui est une source de plaisir pour le narrateur, car « [t]out ce qu’il était me convenait, me touchait à l’intérieur avec force et délicatesse » (35). Le désir sexuel vis-à-vis du grand frère est mêlé à la sensation de protection que celui-ci lui procure lorsqu’il est là :
quand j’étais petit, dans sa chambre, on regardait parfois la télévision ensemble, il me mettait avec lui dans son petit lit pour ne pas avoir froid. Sous la même couverture, on passait des heures collés l’un à l’autre. L’un dans l’autre. J’ai oublié les images qui défilaient sur l’écran de télévision. J’ai toujours dans mon cœur la délicieuse sensation que mon petit corps éprouvait au contact du sien, grand et dur (34).
Il est intéressant de remarquer que le corps même d’Abdelkébir (« grand et dur ») incarne, par opposition à celui du narrateur (encore « petit »), les fondements ou, pour le dire autrement, l’ossature de l’abri qu’Abdellah ne cesse de chercher. Dans ce corps et au contact de ce corps, il perçoit les limites du sien et il se sent enveloppé, à l’abri du reste du monde. Ici, le corps du grand frère est une demeure à part entière, un lieu qui accueille Abdellah et dans lequel « [t]out était naturel » (35). Plus les murs de la maison et des pièces sont fragiles et perméables aux sons et aux intrusions, plus le narrateur cherche d’autres étayages pour se rassurer : la chambre du frère en est un, mais son corps constitue une enveloppe ultérieure, l’abri ultime. Nous comprenons dès lors la force de la sensorialité dans le récit : dans le giron du grand frère, collé à lui, Abdellah le sent et le perçoit, ce qui rend l’expérience de protection comme une expérience avant tout sensorielle et, par conséquent, érotique.
Dans L’armée du salut, le départ d’Abdelkébir du foyer familial est vécu comme une trahison, une première fracture dans le vécu du jeune narrateur : si la jalousie féroce dont il témoigne résulte certainement de l’atmosphère incestueuse dans laquelle les personnages baignent, il me semble que l’on pourrait également envisager le départ du grand frère comme une chute du nid paradoxale, dans la mesure où c’est le nid (Abdelkébir) qui s’en va, laissant l’oiseau désemparé, sans maison et sans protection. « Pour l’oiseau qui sort de l’œuf, le nid est un duvet externe avant que la peau toute nue ne trouve son duvet corporel » (Bachelard 1957, 120) : dans le cas du narrateur, il se retrouve sans duvet, sans cette enveloppe corporelle qui l’avait jusque-là protégé. L’absence d’Abdelkébir était tolérée, car elle était temporaire, mais son éloignement définitif, représenté par le mariage et par la volonté de fonder une famille, est une forme d’abandon aux yeux du narrateur.
C’est dans La vie lente, le dernier roman en date de Taïa, que la question d’un lieu à soi, pour reprendre le célèbre titre de Virginia Woolf, joue un rôle central sur le plan de la diégèse. Le narrateur, Mounir, qui n’est plus celui des deux romans analysés précédemment, a quarante ans, vit à Paris depuis une vingtaine d’années. Il a emménagé quelques années auparavant dans un nouvel appartement rue de Turenne, dans le troisième arrondissement. Il s’agit de la première fois où il a accès à un deux-pièces, ayant vécu jusque-là dans un studio (une pièce unique), mais ce gain de place ne semble pas permettre à Mounir de se sentir bien :
Mon appartement était vide, ou presque. Depuis trois ans que j’y habitais, je tenais absolument à le garder comme il était, vide. Dans la cuisine, le strict minimum pour faire à manger. Dans l’immense pièce de séjour, une grande table et deux chaises. Et dans la chambre à coucher, trois couvertures Tigre achetées à Barbès, étalées l’une sur l’autre directement sur le sol, faisaient office de lit (Taïa 2019, 36).
L’absence de meubles et d’objets dans un espace censé les accueillir est une manière pour Mounir de signifier son sentiment d’étrangeté dans « ce deux-pièces maudit » (15) : il n’habite pas ce lieu et ne souhaite pas l’habiter, il ne veut pas l’investir comme lieu à soi et comme espace où exprimer son intimité. Derrière cette volonté en apparence étonnante, Mounir s’adresse à lui-même à la deuxième personne pour expliquer la situation : « [t]u devrais t’estimer heureux, chanceux, de vivre rue de Turenne. Tu viens quand même des faubourgs de Rabat, la ville de Salé et sa mauvaise réputation » (23). Son trajet de la marge au centre est double : de la périphérie pauvre au centre d’une capitale dans un quartier riche, mais aussi du Maroc, ancien territoire colonisé, à la France, pays colonisateur dont l’influence économique, politique, culturelle et symbolique pèse encore sur les pays du Maghreb. L’appartement rue de Turenne cristallise ces deux enjeux et génère un sentiment de culpabilité chez Mounir :
Regarde où tu vis à présent. Dans un deux-pièces, avec une magnifique cuisine et une salle de bain qui rendraient folles de jalousie tes sœurs prisonnières au Maroc. Le tout fait 45 mètres carrés […] dois-je te rappeler que tu ne paies que 500 euros par mois pour jouir de tout cet espace? Et tant que j’y suis, dois-je aussi revenir sur les tactiques les plus douteuses que tu n’as pas hésité une seconde à utiliser pour obtenir cet appartement? (24)
Il est le seul de la famille à avoir changé de vie et de pays : sa mobilité est en contraste avec l’immobilité de ses sœurs, « prisonnières » évoquant une forme d’enfermement non choisi. Par ailleurs, cet appartement est le premier à l’éloigner définitivement du foyer familial où tout se passait dans la même pièce : ce faisant, Mounir prend des distances avec son passé et avec son enfance. En ce sens, il est possible d’envisager l’absence de lit comme une façon de perpétuer l’aménagement du foyer familial où, pour rappel, il n’y avait que des banquettes qui faisaient office de lit le soir. C’est comme si un sentiment de honte et d’illégitimité l’empêchait de « jouir de tout cet espace » qu’il n’a pas l’impression de mériter. Aussi, les stratégies employées pour obtenir cet appartement confirment non seulement ces craintes, mais montrent qu’il n’est pas à sa place et que seul un subterfuge lui a permis d’en arriver là.
Le manque d’intimité dans cet appartement résulte également des bruits du voisinage, qui empêchent Mounir de dormir. Madame Marty, femme de quatre-vingts ans habitant au-dessus de lui, fait craquer le parquet chaque fois qu’elle marche dans son petit studio, et cette présence constante finit par rendre Mounir fou : il va finir par l’insulter et la police ne va pas tarder à lui rendre visite. « J’ai l’impression que depuis trois ans je n’ai pas dormi. Fermé les yeux, oui. Un sommeil léger, oui. Mais jamais profond. Jamais une nuit complète à satiété. Jamais, jamais. À force de ne pas dormir, vous comprenez, j’ai perdu le contrôle » (17) : « [à] cause de son bruit » (13), Mounir ne parvient pas à investir cet espace comme étant véritablement le sien, et même le sommeil, moment où on lâche prise si l’on se sent en sécurité, est rendu difficile.
Si les sons d’autres appartements parviennent jusqu’à Mounir, ses propres gestes sont aussi entendus par ses voisins. En effet, la voisine lui apprend qu’elle a entendu « les bruits du sexe » et que « cela [l]'avait empêchée de dormir » (95) : il s’agit là de la seule mention dans La vie lente d’intimité sexuelle dans l’appartement, toutes les autres se déroulant dans l’espace public. La narration n’entre pas dans les détails, tandis que les rencontres à l’extérieur sont soigneusement relatées : le « chez soi » n’est pas un espace accueillant, la vie se déroule ailleurs. À l’instar de la pièce de l’enfance décrite dans L’armée du salut, l’appartement rue de Turenne se laisse pénétrer par les bruits des autres et, par conséquent, par l’intimité des autres, ne laissant pas de place à Mounir pour déployer la sienne.
Ce qui finit par rendre l’appartement invivable est annoncé dès le début du roman : il s’agit de la visite de deux policiers qui l’interrogent tout en fouillant chez lui. « Maintenant que le moindre coin de mon appartement avait été visité par les deux policiers, je me sentais comme violé. J’avais un immense dégoût, de ce lieu et de moi dans ce lieu » (40) : l’intrusion des forces de l’ordre dans son espace intime est tout d’abord physique, dans la mesure où ils parcourent l’espace, mais aussi psychique, car ils l’interrogent sur son mode de vie, les raisons de sa présence en France, allant jusqu’à poser des questions sur son homosexualité. Cet envahissement de l’intimité s’ajoute à la détresse de ne pas se sentir à sa place et aux bruits de l’extérieur qui le persécutent, le rendant fou : « [l]'enfer chez soi. Le malheur chez soi. Les névroses en pleine explosion. Perdre la tête. Perdre la raison. Perdre la dignité » (161).
Si l’espace intérieur ne parvient pas à créer les conditions nécessaires pour que l’intimité des narrateurs puisse s’exprimer, il est intéressant de remarquer le rôle de l’espace extérieur dans l’œuvre de Taïa, dans la mesure où il rend possibles des rencontres sexuelles inespérées tout en accentuant les enjeux de domination de certains personnages sur d’autres. C’est dans cet espace public foncièrement paradoxal que se déroulent la plupart des rencontres dans les romans de Taïa, notamment dans L’armée du salut et dans La vie lente.
L’homosexualité des protagonistes est l’un des thèmes les plus récurrents, et elle est étroitement liée à un espace qui permet son expression. Comme le rappelle Marianne Blidon,
la littérature [gay] […] porte en germe les éléments d’une géographie des homosexualités, une des questions de ces romans étant souvent la rencontre qui fait advenir le désir homosexuel. Cette rencontre a lieu quelque part et ce « quelque part » est fondamental (2008, 176).
En effet, l’espace public n’est pas neutre, dans la mesure où il incarne la norme hétérosexuelle « dans les bars et les restaurants, au cinéma et dans les transports en commun » (Leroy 2005, 581) : « [c]'est dans ce contexte particulièrement défavorable que gays et lesbiennes, partout dans le monde, doivent essayer de construire des espaces qui leur ressemblent, des territoires du collectif, dont on sait qu’ils sont producteurs d’identités » (581). Dans ces « espaces de résistance pour reterritorialiser la ville » (582), il s’agit de contrer l’omniprésence de la norme en affirmant d’autres identités minorisées : c’est le cas des « quartiers gays » dans les grandes villes, où les lieux de rencontres constituent, entre autres, « des espaces de sociabilité et d’apprentissage d’une culture spécifique » (Eribon 2009, 213). Il faut également noter qu’il existe une véritable mythologie homosexuelle de la ville et des capitales (Leroy 2005; Eribon 1999, 2009) qui correspond à deux logiques : d’un côté la possibilité de faire plus de rencontres et, par conséquent, d’avoir plus de choix en ce qui concerne ses partenaires; de l’autre côté, la ville répond à un besoin de sécurité et de soutien mutuel.
Si la ville est fortement présente dans l’œuvre de Taïa (Paris ou, dans L’armée du salut, Genève), on constate une absence totale de quartiers gays dans lesquels les personnages seraient susceptibles d’évoluer. Le narrateur marche souvent en ville complètement seul et ne fréquente pas de lieux où il y aurait une sociabilité homosexuelle. Néanmoins, chez Taïa, l’espace public demeure fondamental pour le déploiement du désir homosexuel et d’une « sexualité anonyme » (Leroy 2005, 593) : c’est le cas des lieux de drague, des « lieux de rencontre extérieurs qui effacent la frontière entre public et privé en (homo)sexualisant l’espace urbain de manière illicite » (594), comme les parcs, les places ou les gares. Dans L’armée du salut, le narrateur vient d’arriver à Genève et ne sait toujours pas où il va pouvoir dormir ce soir-là, lorsqu’un homme l’approche dans la rue et le conduit dans des pissotières, qui sont l’un des cadres traditionnels de la drague gay.
En y rentrant je me rendis compte tout de suite qu’il régnait en ce lieu ce qui manquait ailleurs, dans le reste de Genève : la sexualité débordante et poétique.
Une dizaine d’hommes de tous âges étaient alignés devant les urinoirs et se regardaient la bite avec gentillesse. Cela me frappa beaucoup. Je n’étais pas choqué, c’était comme si je retrouvais de vieux copains. Ces hommes se désiraient sans violence, ils se touchaient le sexe avec une tendresse extrême, avec courtoisie. Ils vivaient dans ce lieu souterrain et sale une sexualité clandestine et publique à la fois. Ils se souriaient les uns aux autres comme des enfants. Ils ne parlaient pas. Leurs corps heureux le faisaient à leur place. Ils se masturbaient de la main droite et touchaient de la gauche les fesses de leur partenaire. Ces hommes n’étaient pas en couple, ils faisaient l’amour debout tous ensemble (Taïa 2006, 130-131).
Dans ce passage, le lieu dégage une atmosphère qui est à la fois intime et impersonnelle : tous les gestes sont décrits comme doux et la saleté des toilettes publiques contraste avec la « courtoisie » et la « tendresse » de leurs gestes, ainsi qu’avec leur bonheur naïf qui pousse le narrateur à les comparer à des enfants. Cette sexualité groupale produit une énergie qui les traverse tous, et elle n’est possible que par leur rassemblement dans ce lieu de drague. Le narrateur se sent alors accueilli dans cette ville qui lui était hostile jusque-là, et ce, grâce à la présence de ces hommes et de leur désir qui circule ouvertement entre leurs corps. À l’instar des souvenirs de son enfance, la sensorialité joue un rôle central dans l’expression de l’intimité sexuelle et prime sur l’échange verbal.
Dans La vie lente, Mounir rencontre deux hommes dans les transports en commun : Soufiane et Antoine, l’un à Rabat lorsqu’il a quinze ans et l’autre dans le RER à Paris, vingt-cinq ans plus tard. Les deux scènes apparaissent dans le même chapitre (« Soufiane ») et sont directement comparées, bien que l’intimité de Mounir s’exprime de manière différente. Dans le premier cas, c’est Soufiane, l’homme plus âgé et probablement fonctionnaire dans le quartier des ministères, qui approche Mounir :
J’avais 15 ans. À peine pubère. Tout au long du trajet, l’homme n’avait cessé de se rapprocher de moi, de se coller à moi […] Je n’ai pas résisté, je n’ai même pas pensé à le faire. J’aimais ce que cet inconnu était en train d’initier. Ce qu’il m’offrait. J’aimais surtout son audace. Aller jusqu’au bout du désir dans le bus rempli de monde (Taïa 2019, 43).
Mounir accepte que la rencontre ait lieu, ou mieux, il ne résiste pas aux avances de cet homme plus âgé : l’écart d’âge et de carrure, à la fois symbolique et physique, le narrateur étant « petit et maigre » et l’homme, « grand et en très bonne forme » (43), « pas du tout du même monde que [Mounir] » (44), joue en faveur de Soufiane, qui incarne un « espoir » et une « nouvelle vie » (49). Le déséquilibre de la rencontre ne semble pourtant pas être le seul élément déclencheur : c’est l’audace d’exprimer son désir dans un lieu public, face à d’autres, qui intrigue Mounir. Paradoxalement, il semble être plus à l’aise avec son propre corps et les sensations qu’il lui procure que dans son propre appartement, où il se sent à la fois seul et envahi par les bruits de l’extérieur :
Je ne savais pas si les autres passagers avaient remarqué quelque chose ou pas. Cette séduction en marche. Cette opération sexuelle sur le point d’accéder à un nouveau niveau d’intensité. Je sens encore la présence des autres dans ce bus qui ressemblait à une boîte de sardines. Je vois leurs yeux et je vois leur silence. Je ne suis pas loin d’un grand danger. Mais je m’en fous. L’homme au costume et à la cravate a décidé pour moi […] Les autres? C’est quoi les autres? (45-46).
Si « les autres » finissent par disparaître, ils font cependant partie intégrante du dispositif qui encourage la rencontre aux yeux de Mounir : il « sent » les passagers et les observe pendant que l’homme l’approche et se frotte à lui, et cette présence inattendue du désir au milieu d’une foule relie le narrateur aux autres, au point qu’il se demande : « C’est quoi les autres? ». L’intimité sexuelle de Mounir ne se déploie pas malgré eux, mais en leur présence.
Dans la deuxième rencontre, Mounir est dans un RER lorsqu’il aperçoit Antoine, un homme français qui a environ son âge : « [d]ans le RER A bondé à l’heure de pointe, j’avais fait en sorte qu’il saisisse vite que j’étais d’accord. Mes yeux dans ses yeux lui disaient qu’il pouvait se rapprocher » (80). Cette fois, c’est le narrateur qui a le contrôle sur le déroulement de la rencontre; aussi, le personnage d’Antoine n’est pas caractérisé par ses habits ou par sa posture qui dénoteraient un certain statut social, ce qui rend la rencontre plus équilibrée. Son corps et l’espace environnant réactualisent le souvenir de Soufiane :
Je ne connaissais rien de lui à ce moment-là et, sans presque rien faire, j’avais l’impression d’avoir déjà atteint avec lui une réelle intimité sexuelle. Une entente surprenante, naturelle, entre nos deux corps. Un dialogue secret entre nous qui avait commencé bien avant cette première fois dans le RER A. Antoine […] a réveillé Mounir l’adolescent dans le bus (81).
Le corps anonyme d’Antoine semble receler celui de l’homme à Rabat, dans la mesure où il incarne un instant éphémère de désir dans un lieu lui aussi anonyme et de passage. Dans les deux cas, les transports en tant que « non-lieu » (Augé 1992) jouent un double rôle : ils permettent au narrateur d’exprimer son désir et son identité sexuelle (qui s’inscrit à la marge de la norme) dans l’anonymat; ils lui permettent également, par des rencontres qui sont le fruit du hasard, de se rêver dans un autre monde et d’envisager un ailleurs, tantôt spatial (dans la scène du bus, en dehors de Salé, vers une grande ville) tantôt temporel (dans le deuxième cas, vers le souvenir vieux de vingt-cinq ans). En ce sens, les transports deviennent un espace-autre ou une hétérotopie (Foucault 1984) où se déploie un espace identitaire sexuel à l’abri de la réalité : « Un espace où fuir quelques heures, faire l’amour, tuer l’amour, partager le butin, sortir définitivement de la norme, de la peur » (Taïa 2019 : 54).
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Avec cette étude des différents espaces dans trois romans d’Abdellah Taïa où l’intimité des personnages émerge ou peine à émerger, il m’importait de souligner à quel point les espaces intérieurs tels que le foyer familial et l’appartement lors de l’âge adulte sont des lieux où il n’est pas possible d’exprimer son intimité, tandis que les espaces extérieurs, notamment les lieux publics dans les villes, permettent davantage de dévoiler la vulnérabilité de son propre désir. Tout au long de l’œuvre de Taïa, l’intérieur ne coïncide pas avec un « lieu à soi » : dès l’enfance, les vécus d’empiètements de la part des parents et, d’une manière générale, les liens plutôt incestueux, engendrent une intimité sexuelle indifférenciée que le narrateur exprime à son tour dans la chambre de son grand frère, tout en accédant à une connaissance de soi qui n’est possible que dans un espace suffisamment protégé. Le narrateur adulte ne trouve pas de repos dans son appartement où, de nouveau, tout s’entend et rien ne peut être caché. Ce n’est qu’à l’extérieur, dans les lieux publics et dans les transports en commun, que le narrateur vit pleinement son identité sexuelle et exprime ouvertement son désir : si l’espace urbain et les lieux publics sont historiquement des lieux propices à une sexualité anonyme pratiquée par des hommes homosexuels, les personnages de Taïa demeurent seuls, à l’écart des espaces de sociabilité homosexuelle et d’un sentiment de communauté. De plus, l’espace public n’efface pas les enjeux de domination, qu’il s’agisse de l’âge ou de la race pour les exemples analysés dans cet article : il s’agit d’une arme à double tranchant que le narrateur se doit de manier avec soin. Si l’intimité sexuelle est étroitement liée à l’espace qui l’accueille et qui la façonne, les romans de Taïa nous montrent les difficultés à se sentir soi-même dans un lieu qui ne protège pas, ainsi que les potentialités libératrices de l’espace extérieur.
Augé, Marc. 1992. Non-lieux, introduction à une anthropologie de la surmodernité. Paris : Seuil.
Bachelard, Gaston. 1957. La poétique de l’espace. Paris : Gallimard.
Blidon, Marianne. 2008. « Jalons pour une géographie des homosexualités ». L’espace géographique 2, no 37 : 175-189.
Éribon, Didier. 1999. Réflexions sur la question gay. Paris : Flammarion, coll. « champs essais ».
———. 2009. Retour à Reims. Paris : Flammarion, coll. « champs essais ».
Foucault, Michel. 1984. « Des espaces autres ». Dits et écrits. Paris : Gallimard, 1994.
Kundera, Milan. 1984. L’Insoutenable Légèreté de l’être. Paris : Gallimard.
Leroy, Stéphane. 2005. « Le Paris gay. Éléments pour une géographie de l’homosexualité ». Annales de géographie 6, no 646 : 579-601.
Taïa, Abdellah. 2004. Le rouge du tarbouche. Paris : Seuil, 2012.
———. 2006. L’armée du salut. Paris : Seuil.
———. 2019. La vie lente. Paris : Seuil.
Caiazzo, Francesca. 2020. « Spatialité de l’intimité sexuelle dans l’œuvre d’Abdellah Taïa : d’un “chez soi” impossible à l’espace public », Postures, Dossier « Écrire le lieu : modalités de la représentation spatiale », n° 31, En ligne <http://revuepostures.com/fr/articles/caiazzo-31> (Consulté le xx / xx / xxxx).