Dans une entrevue avec Christie V. McDonald, intitulée Choreographies, Jacques Derrida affirme qu'il n'y a pas de place pour la femme, sinon dans le déplacement (McDonald, Derrida, 1982, p. 69). La place, entendue comme une position fixe, une inscription dans un lieu donné, est une question qui, dans l'expression « la place de la femme », relève de l'assignation et de l'immobilité. Le lieu propre de la femme, là où elle est si aisément assignée et d'où elle ne doit pas bouger, ce lieu ce pourrait être son corps. Puisque le corps féminin constitue, pour les philosophies essentialistes (féministes ou non), le lieu véritable de l'identité sexuelle, il revient à la femme de résister à cette assignation, de changer la place, afin d'inventer une autre inscription, un autre déplacement des lieux et des corps (Ibid., pp. 69-70).
Le film Dans ma peau de Marina de Van nous permet de nous questionner sur le statut et la signification du corps féminin, sur sa stabilité et sa vérité. Écrit, réalisé et mettant en scène Marina de Van elle-même, ce long-métrage nous présente l'histoire d'Esther qui, suite à une blessure à la jambe, se met à l'entailler plus profondément et à s'adonner à des rituels d'automutilation. Elle trouve dans cette pratique, communément associée au morbide, l'occasion d'un amour et d'un souci de soi. Cette mise-en-scène du corps nous amène à suggérer que Dans ma peau, dans sa forme et son contenu, fonctionne d'une telle façon qu'il reproduit l'effet aliénant [dis-embodiement] exercé par les discours et les pratiques de la société patriarcale sur le corps féminin. Cette reproduction, comme une mise à distance du « corps original », nous expose la trivialité d'un corps dit « féminin », et nous confronte à un corps qui déroge de la norme et ébranle notre entendement. Dans cette optique, nous débuterons notre analyse avec la notion de phallogocentrisme de Derrida, afin de situer la relation de l'homme (des philosophes) à la vérité. Nous aborderons ensuite l'effet de scission et de fragmentation qu'opère le discours patriarcal sur le corps de la femme. Enfin, une attention particulière sera portée sur la manière dont Marina de Van réutilise cet effet de scission et d'écartement pour faire dévier tous les lieux rationnels de la corporalité.
Dans son texte Introduction théorétique sur la vérité et le mensonge au sens extra-moral, Nietzsche fait le procès de l'intelligentsia occidentale et particulièrement du langage dans leur rapport à la Vérité. Selon lui, l'intellect se déploierait par la dissimulation, reposerait sur l'action illusoire du langage. Plus spécifiquement, le langage donnerait les premières lois de la Vérité par les procédés arbitraires que sont la désignation et la formation de concept. C'est comme cela que Nietzsche nous indique que :
tout mot devient immédiatement concept par le fait même qu'il ne doit pas servir justement pour l'expérience originale[…], mais qu'il doit servir en même temps pour des expériences innombrables, plus ou moins analogues, […] jamais identiques. […] Tout concept naît de l'identification du non-identique (Nietzsche, 1991, p. 122).
Si nous croyons saisir, par ces procédés, la nature des choses dans leur immédiateté, dans leur pureté, le langage pour Nietzsche arrive à la fin d'une série de métaphores (visuelles, auditives) et agit de telle sorte qu'il cache et fait oublier ce qu'est au fond la Vérité, à savoir une illusion, une invention du langage et de la philosophie.
Dans Éperons : Les styles de Nietzsche, Derrida s'intéresse à ce mouvement qu'opère la philosophie occidentale dans son rapport à la Vérité, à l'action du langage dans sa mouvance, à ses effets et ses conséquences. C'est ainsi qu'il observe, à l'instar de Nietzsche, qu'à la matière (la matrice), la philosophie viendrait inscrire une marque. Elle viendrait, de son éperon – qui constitue le trope de l'inscription phallique – marquer, extraire la forme et instituer toute l'économie de la Vérité et de la sexualité. Cette attitude propre aux philosophes qui croient à la Vérité, qui lui donnent lieu, Derrida la place sous le terme de « phallogocentrime ». Il écrit : « à cette vérité qui est femme, le philosophe qui croit, crédule et dogmatique, à la vérité comme à la femme, n'a rien compris. Il n'a rien compris ni à la vérité, ni à la femme » (Derrida, 1978, p. 40). Car la Femme, comme allégorie de la Vérité, et la Vérité de la Femme, c'est-à-dire ce qui en constituerait la nature, se présentent comme des lieux d'ancrage fondamentaux de la rationalité occidentale. Si, comme Nietzsche l'a souligné, la Vérité est une invention, il s'agit alors pour Derrida de faire état de ce processus qui la crée et de dessiner cet échange qui se joue entre le style et cette question de la Femme.
C'est ainsi qu'il décline dans l’œuvre de Nietzsche trois positions en regard de la Femme. Elle apparaît d'abord comme figure de mensonge, celle qui ne détient pas le pouvoir phallique, celui de désigner, d'établir la Vérité. Il arrive aussi qu'elle se dise elle-même détentrice de la Vérité, la sienne, s'appropriant l'éperon pour produire la marque; elle tendrait ainsi à tromper l'homme à qui la Vérité et le phallus appartiennent en propre. Dans les deux cas, la place d'où l'on pense, est celle du phallogocentrisme, place d'où la femme « règle le dogmatisme, égare et fait courir les hommes, les crédules, les philosophes » (p. 53). Elle est le lieu où se remarque la présence ou l'absence de l'inscription phallique, là où l'économie de la Vérité se joue.
Or, la troisième position, celle qui nous intéresse ici, est une position qui échappe à cette économie, puisqu'elle se pose dans la distance. Si la Femme est Vérité, si Vérité de la Femme il y a, alors « la femme sait qu'il n'y a pas la vérité, que la vérité n'a pas lieu, et qu'on a pas la vérité. Elle est femme en tant qu'elle ne croit pas, elle à la vérité, donc à ce qu'elle est, à ce qu'on croit qu'elle est, que donc elle n'est pas » (p. 40). La « femme » c'est le scepticisme, celle qui ne prend jamais place.
Elle est de fait celle qui s'annonce à distance, celle qui attire et séduit; et celle qui n'est abordable qu'à distance. La « femme », dans cette position, y va de la dissimulation, du jeu : elle joue de l'effet de vérité, de cet espacement, tout en sachant que cette vérité n'aura pas lieu. L'opération de la « femme » s'effectue en distançant la distance, en créant l'abîme, en dérobant l'identité de la Femme : « il n'y a pas d'essence de la femme parce que la femme écarte et s'écarte d'elle-même » (Ibid., p. 38). Elle opère de telle manière que cette Vérité qui serait la sienne, deviendrait une « vérité » entre guillemets. Il s'agit d'écarter ce rapport éperonnant, en suspendant la marque de la Vérité, l'action du langage et son effet de profondeur. Elle fait jouer le Sens (la Vérité du langage) en surface : elle l'abstrait, le fait dévier et le garde ouvert et mobile, constamment. Jamais le Sens ne se pose et se fixe. Par conséquent, si la « femme » inscrit une marque, ce sera celle de l'indécidabilité.
Dans cette analyse, il faut situer l’inscription dans ce qui se trouve à la jonction de la vérité et de la femme : le corps. Si Nietzsche et Derrida font le procès de la philosophie dogmatique, nous voulons faire ici celui d'une société dans laquelle le corps est ce dans et par quoi l'économie de la vérité, et particulièrement celle de la femme, prend lieu. Michel Foucault proposait la notion de biopouvoir pour définir le type de pouvoir qui s'exerce dans nos sociétés modernes, à savoir un pouvoir qui se déploie à travers divers dispositifs technologiques et qui en passe fondamentalement par les corps. Nous invoquons ici à la notion de biopouvoir sexué, à savoir d'une société patriarcale qui procède par une prise en charge du corps de la femme pour fonctionner et se maintenir. Dans cette perspective, le pouvoir qui, de son éperon, inscrit la vérité, l'inscrit sur le corps de la femme. Et le fait de telle sorte qu'il crée cette idée de profondeur, cette identité de la féminité, du corps type féminin, qui veut bien se loger dans les tréfonds biologiques, physiologiques, anatomiques. Or cette profondeur qu'accusait plus tôt Derrida, n'est qu'un effet de surface, l'effet de rapports de forces qui agissent à même le corps. C'est l'action des technologies du pouvoir sur la surface du corps qui en produit l'idée. Donna Haraway indique dans un article intitulé The persistence of vision que la médiation – ou l'intervention – technologique (scientifique, médicale) crée un effet de « dis-embodiement » (Haraway, 2002, p. 677). En prétendant opérer au nom d'une objectivité, d'une vérité, elle travaille au fond à éloigner le sujet d'une expérience qui lui serait propre. La distance, l'intervalle qui est installé entre le sujet et son corps, désincarne le sujet, l'aliène à un corps qui convient à l'économie du pouvoir et du savoir moderne. Plus encore qu'une aliénation, il faudrait penser l'inscription du biopouvoir comme une sorte de cannibalisme, qui marque et gruge le corps humain, le coupe et le fragmente. Chez la femme, l'inscription cannibale, elle s'adresserait à la peau. S'offrant comme ce qui est d'emblée publique, la peau est ce par quoi le corps est socialement appréhendé. Lieu de l'intégrité corporelle, elle confère au corps sa cohérence, sa beauté; elle protège son intérieur, ses organes, ses fluides, son intimité. La peau constitue ce voile tendu au regard de l'homme, à sa société, sa science, sa médecine et son discours. La peau devient dès lors surface où s'installe la distance et où il est possible, pour la femme, d'en jouer. Ainsi, à l'inscription aliénante du biopouvoir, il faut y opposer le film Dans ma peau. Et à la femme désincarnée, à sa peau docilement dévorée, s'y opposera celle de Esther.
Dans ma peau, c'est l'histoire d'Esther, jeune professionnelle, douée et ambitieuse, qui réussit bien, autant dans sa vie professionnelle que personnelle. Lors d'une fête, elle tombe dans un amas de déchets métalliques, qui lui entaille la jambe. Ce n'est que quelques heures plus tard, alors qu'elle se rend à la salle de bain, voyant couler le sang, qu'elle constate l'état de sa jambe, celui de sa peau. Le médecin qu'elle consulte à la suite de l'incident, qui s'inquiète de son état, trouve singulier qu'elle n'ait pas remarqué plus tôt sa blessure et ressenti la douleur. Suite à une remarque malvenue sur sa santé mentale, il lui suggère fortement la chirurgie plastique, tant les dommages causés ont ravagé sa peau. Refusant catégoriquement et avec froideur toute intervention, elle retourne chez elle où son copain la recevra animé d'une inquiétude qui oscille entre le souci attentionné et le dégoût. À partir de ce moment, Esther sera animée, voire obsédée par sa blessure, par sa peau ainsi disposée et révélée. À tel point qu'elle provoquera elle-même des moments de solitude où elle pourra s'entailler à nouveau, plus profondément, plus soigneusement. Navigant entre son travail et ses séances de mutilation, Esther se laissera porter par le désir de son corps et celui d'une intimité qui la mènera, dans la scène culminante du film, à s'isoler dans une chambre d'hôtel et à se livrer à une session intensive, de mutilation et d'autophagie.
Dans Dans ma peau, l'incision est une figure qui anime et nourrit toute l'élaboration du film. Autant le langage cinématographique, que le récit et le corps même de Marina de Van s'offrent comme surface d'inscription, qu'il s'agit de fendre et écarter. Avant de s'attarder à ses manifestations, il faut spécifier que l'incision ne doit pas être envisagée comme une division nette, une coupure qui viendrait séparer deux éléments, ce qui reviendrait à instituer un rapport binaire, une absence entre deux présences mises à part. L'incision est plutôt de l'ordre de la fraction, elle relève de la fente, de l'abîme : elle illustre l'ouverture dans la matière. Elle est donc décalage, distance dans le temps et l'espace.
Ainsi, l'incision marque le décalage dans l'espace du film. Il y a un écartement qui s'opère entre les sphères sociale et privée, au point où le social n'arrive plus à fonctionner normalement, où il se voit disqualifié au profit du régime du privé.
Dès le départ, dans le générique, l'écran est scindé en deux. Dans les deux parties, nous voyons la ville, les buildings, les autoroutes, les piétons. Or, les deux images dans cet écran scindé, ne concordent pas, elle ne se répondent pas, ni ne se complètent. Ce sont deux images, fixes, d'un même lieu, mais d'un angle différent. Elle sont en décalage l'une par rapport à l'autre. Aussi, l'une est positive, l'autre négative, comme deux valeurs d'une photo qui n'est pas la même.
Nous circulons comme cela, à l'aide de fondus, d'un building à une rue, à un autre building, quand une scène animée, de l'ordre de l'intime, vient interrompre cette série, comme faire coupure : nous voyons Esther, dans sa chambre, en sous-vêtements, taper à son ordinateur. Son amoureux vient l'enlacer. La caméra remonte le long de sa jambe. Reprennent ensuite les écrans scindés, mais avec maintenant des images fixes d'intérieur : outils de travail (crayon, ordinateur, règle, etc.), le bureau, la cage d'escalier, le couloir, etc. Il se crée dès le départ une ligne qui se voudrait continue, cohérente et à la verticale : du public vers le privé. Mais cette ligne est hachurée. Le déplacement saccadé des images, et cette scène de l'intime qui s'insère dans la séquence, participe de cette discontinuité et travaille au décalage. À la fin du film, l'écran scindé se présente de nouveau, cette fois avec deux séquences filmées. Apparaissent des images de la chambre d'hôtel dans laquelle s'est isolée Esther, côte à côte, mais désynchronisées et filmées à partir d'un angle différent. Les deux séquences sont filmées et apposées de telle manière qu'elles semblent glisser l'une sur l'autre et s'engouffrer à leur jonction, faisant abîme. De plus, la bande sonore qui les accompagne rapporte des bruits de l'extérieur : nous entendons le bruit de la ville, des voitures, des piétons, leur voix, etc. Comme une lointaine rumeur encadrant la scène de l'intime, bordant à son tour le lieu où il y a décalage : c'est dans l'intime que ça se produit, dans l'intime que l'abîme se crée.
L'aspect formel renvoie ainsi au récit, dans lequel le social, relevant d'un biopouvoir et qui est supporté par les personnages masculins, se voit écarté. Il l'est par le corps même d'Esther. Dès le moment où il y a du sang, l'autorité sociale et institutionnelle est invoquée : on pense au cadavre et à la police, on réfère au médecin, au psychiatre. En effet, pour tous les hommes qui entourent Esther (ses amis, ses collègues, son copain, son médecin) la présence du sang se rapporte sans hésitation à l'ordre du morbide et du pathologique. C'est ainsi que son amoureux lui reprochera de lui « faire peur », lui demandant des explications. Et Esther de répondre qu'il veut « toujours donner du sens à tout ». Le sang qui coule, la peau qui s'ouvre, est un phénomène qui appartient à l'irrationnel et qui doit revenir à l'institutionnel. Or, dans ce film, ce qui appartient au social, revient au privé, à l'intime. Le sang et la mutilation, ce comportement que son patron qualifie d'« écart », Esther le déplacera vers la sphère privée. Elle créera pour cette pratique un lieu d'intimité dans les lieux publics. C'est ainsi qu'à son travail, elle s'isolera dans le débarras pour se couper ; au restaurant, elle se précipitera dans l'entrepôt, ne pouvant plus attendre. Comme un acte sexuel que l'on commet à la dérobée, elle choisira enfin un lieu privilégié, celle de la chambre d'hôtel, où elle se mutilera, à distance de la société, de ces hommes et leurs institutions. Le choix de ce lieu n'est pas anodin. En effet, la chambre d'hôtel constitue un lieu d'intimité qui refuse son caractère privé, puisque situé dans la sphère publique. La mutilation qui se fait dans la chambre d'hôtel, n'est plus la mutilation confinée et taboue. Marina de Van refuse le privé, refuse ce lieu. La dichotomie publique/privé, qui confirme l'organisation sociale, ne fonctionne plus.
Cette scène d'automutilation qui présente un moment d'autoérotisme, comme le rapporte Greg Hainge dans son article « A full face bright red money shot : Incision, wounding, and film spectatorship in Marina de Van's Dans ma peau », fonctionne de manière à créer un effet de décalage. Comme il le remarque, cette scène où nous voyons la peau ouverte, le sang couler, le couteau qui tranche, offre une image graphique qui conviendrait au genre de l'horreur (Hainge, 2012, p. 570). Toutefois, cette scène est une scène d'amour : Esther s'embrasse, s'étreint, se lèche et surtout mange sa peau. La sensualité de cette scène repose sur le fait qu'elle soit filmée d'après les codes du cinéma érotique. En effet, les plans rapprochés sur ses membres et les travellings très lents fragmentent le corps d'Esther et donnent l'impression qu'il y a contact entre deux corps, qu'il y a un rapport sexuel. Les angles, le cadrage, le montage s'accordent pour montrer cette relation du corps à lui-même, ses gestes lents et amoureux. Par conséquent, il y a fascination au lieu de répulsion et là se joue le décalage : le lieux propre du corporel est déplacé, distancié et il n'est plus cohérent. La pratique de l'automutilation par ce procédé, et en plus du fait de l'absence de narration et du peu de dialogue, est complètement dé-psychologisée. Elle ne peut plus dès lors être ramenée à un comportement pathologique. On ne joue plus dans l'horreur, la détresse et la douleur. Le sang et la coupure participent d'une technique de soi, d'un souci du corps. Le corps d'Esther n'occupe plus la place du corps propre et sain. Ni celle du corps horrible et maladif. Il occupe un lieu autre, déplacé de cette dichotomie propre/impropre, rationnel/irrationnel. Nous retrouvons ici ce que Derrida défendait : une brèche dans la logique phallogocentrique, une trace entre la présence et l'absence.
C'est bien ce rôle que joue l'incision pour Esther : elle joue avec le danger de l'absence, de cette négativité, qui n'est en fait que décalage (ce qui rappelle la séquence des écrans scindés). Elle ouvre sa peau et ne la laisse pas guérir. Elle garde la plaie toujours ouverte. La peau qui laisse voir et couler le sang ramène le corps à la surface. En refusant la cicatrice, Esther met la vérité sous rature, la suspend à la surface et l'empêche de s'inscrire en profondeur, d'y rester. Elle est « ouverture écartée » (Derrida, 1978, p. 38) pour reprendre la formule de Derrida. Tout est ramené et se passe dans l'acte de la scission, celui de l'écartement, celui de la distanciation.
Le cannibalisme que Marina de Van met à l’œuvre dans Dans ma peau, qui reflète d'une certaine manière l'effet désincarnant du discours patriarcal, est un cannibalisme autophage par lequel la femme écarte et s'écarte d'elle-même. Le baiser autophage, celui de la chair sur la chair, installe un nouvel ordre corporel, un réengagement de la corporalité féminine. Le corps « féminin » tel que constitué par les diverses institutions d'un biopouvoir sexué, est un corps qui s'engouffre lui-même et qui fait abîme ; laissant place à un corps ainsi qu'à une identité féminine qui ne se fixent jamais mais toujours se déplacent et restent ouverts, et tiennent à distance l' « éperonnante » Vérité de la Femme. Si Nietzsche reprochait à la rationalité occidentale d'échouer à rendre par le langage la vérité d'une expérience immédiate et originale, il semble que Marina de Van, dans cet écartement du régime de la rationalité, nous permet de saisir, le temps d'un film, l'expérience d'un corps.
Derrida, Jacques. 1978. Éperons: Les styles de Nietzsche. Paris: Flammarion, 123 p.
De Van, Marina. 2002. Dans ma peau. Paris : Rezo Films, 93 mins.
Hainge, Greg. 2012. «A full bright red money shot: Incision, wounding and film spectatorship in Marina de Van's Dans ma peau», dans Continuum: Journal of Media & Cultural Studies, vol. 26, no. 4, Août, pp. 565-577.
Haraway, Donna. 2002. « The persistence of vision », dans The Visual culture reader. New York : Routledge and Sons, pp. 677-684.
McDonald, Christie V.; Jacques Derrida. 1982. « Interview: Choreographies: Jacques Derrida and Christie V. McDonald », dans Diacritics, « Cherchez la Femme : Feminist Critique/Feminine Text », été, vol. 12, no. 2, pp. 66-76.
Nietzsche, Friedrich. 1991. Le livre du philosophe. Paris : Garnier Flammarion, 178 p.
Pelletier, Laurence. 2013. « Le corps à distance : Déviance du corps féminin dans Dans Ma Peau de Marina De Van », Postures, Dossier « Déviances », n°18, En ligne <http://revuepostures.com/fr/articles/pelletier-18> (Consulté le xx / xx / xxxx). D’abord paru dans : Postures, Dossier « Déviances », n°18, p. 23-31.