Le wagnérisme, qui est prépondérant tant pour Joséphin Péladan que pour son œuvre, mit presque un demi-siècle à s’imposer en France. Des premières tentatives à monter ses opéras entre 1839 et 1842 à la consécration posthume1 entre 1885 et 1888, notamment avec la publication de La Revue wagnérienne, Richard Wagner connut les affres de l’échec. Les représentations houleuses de Tannhäuser en mars 1861 sont le reflet amer de ce long cheminement. En effet, malgré un an de répétitions, ce fut un désastre : le spectacle fut tant décrié par les critiques et par les compositeurs français qu’il n’y en eut que trois représentations. Au sortir de la première, Hector Berlioz, qui n’était plus l’ami du compositeur germanique à ce moment-là, rayonnait : la presse et le public n’étaient pas prêts pour la musique de Wagner, et en particulier pour sa conception de l’œuvre d’art totale, de l’allemand Gesamtkunstwerk.
Alors qu’au XVIIIe siècle les symphonistes épiloguaient sur la primauté de la musique ou de la poésie, Wagner publia en 1851 un ouvrage intitulé Oper und Drama, exposant sa théorie du drame lyrique selon laquelle la musique et la poésie doivent fusionner afin d’atteindre l’œuvre d’art totale. Cette interpénétration devait mener l’auditeur-spectateur à la synesthésie — définie comme une relation subjective et suggestive qui s’établit spontanément entre une perception et une image appartenant au domaine d’un autre sens —, dans le but de toucher son cœur et son âme. De là, toute la mystique wagnérienne. Cette nouvelle esthétique se décline autour de quatre grands principes moteurs : le passage sans rupture du récitatif à l’air, de la déclamation au chant ; la mélodie infinie, unendliche Melodie ; la réhabilitation du rôle de l’orchestre ; et, enfin, l’utilisation du leitmotiv, dans le dessein de parvenir à l’harmonie globale de l’œuvre. Cette conception wagnérienne se transcende à Bayreuth puisque musique, poésie, théâtre, décor, costumes… y fusionnent en un syncrétisme absolu.
Au XIXe siècle, seule l’élite littéraire y entrevit une possibilité novatrice aussi bien pour la musique que pour la littérature. C’est pourquoi Charles Baudelaire, Catulle Mendès, Paul Verlaine et Jules Champfleury réhabilitèrent lentement le génie allemand après le fiasco de Tannhäuser. En 1865, Théophile Gautier écrivit une nouvelle intitulée « Spirite » dans laquelle ses héros s’entretiennent des œuvres wagnériennes, cependant que le 15 avril 1869 parut l’article d’Édouard Schuré qui faisait finalement connaître l’œuvre théorique et révolutionnaire de Wagner en France (Schuré, 1869, p. 948-991). La même année, Mendès, Auguste de Villiers de L’Isle-Adam et Judith Gautier, la femme de Théophile, partirent en pèlerinage à Tribschen, où résidait le maître. Ils en revinrent pleins d’articles laudatifs, qui, une fois publiés, permirent au wagnérisme de se répandre lentement dans les milieux mondains, artistiques et littéraires.
En 1888, cet engouement ainsi que ce concept d’œuvre d’art totale poussèrent le Sâr2 Péladan3 à assister en 1888 à trois auditions de Parsifal à Bayreuth, suivies chacune de trois illuminations qui menèrent à la création des trois ordres de la Rose-Croix, du Temple et du Graal4, mais qui eurent également deux autres conséquences. La première : Péladan voulut dès lors être l’instigateur d’une littérature wagnérienne en adoptant la méthode de composition et aussi la technie5 musicale dans l’écriture. La seconde : la publication en 1890 d’un récit sous la forme d’un opéra : Cœur en peine6. Quelques années plus tard, Péladan inventa pour sa « pastorale kaldéenne », Le Fils des Étoiles (Péladan, 1895, p. 2), le néologisme wagnérie, qui devait désigner un nouveau genre littéraire, largement influencé par la musique.
À l’aune de toutes ces informations, une série de questions nous viennent à l’esprit : Pouvons-nous considérer Cœur en peine comme une wagnérie ? Quelle est la capacité de représentation de la musique ? La littérature a-t-elle su intégrer les modalités de la musique ou est-ce simplement une tentative de réalisation du mythe wagnérien de l’œuvre d’art totale ? Pour mieux répondre à ces interrogations, nous étudions dans le détail les correspondances formelles, les imbrications thématiques entre la musique et la littérature, et le rôle symbolique de la musicalité vis-à-vis de la littérarité.
Ainsi, chez Péladan, le roman est construit comme une symphonie. Les parties indiquent des mesures rythmiques auxquelles correspond la narration : prélude, andante, allegro, adagio, largo, à l’exception du dernier qui représente le final : « Le château de Rose-Croix » 7. De la même façon que Wagner, qui remplace l’ouverture orchestrale par un prélude complètement relié à l’histoire et distillant déjà l’atmosphère, Péladan met en place tous les éléments de son drame wagnérien dans une scène d’exposition intitulée « Prélude ». Aussi, dans le premier chapitre, titré « Le bain du soir », il brosse le portrait de l’océan et de ses tumultes sonores ; dans le deuxième chapitre, « Douloir ! », il présente l’héroïne ; dans le troisième chapitre, « Le combat de Mérodack contre Tamti », il introduit la fable mythologique à valeur symbolique sur laquelle se base tout le récit ; puis, dans les quatrième et cinquième chapitres, soit « La dette du R+C » et « L’appel de l’océan », il prépare l’imbroglio. Viennent ensuite un « Andante de la vie morte », un « Allegro du désir espéreur », un « Adagio du vain effort », un « Largo des voix dans la nuit » et un final dont le rythme est syncopé, parfois lent, parfois tout en accélération. La structure correspond bien à celle d’un opéra. De même, contrairement au théâtre, qui apprête le dénouement dès la fin de la grande scène du troisième acte, l’écrivain élabore le final du récit à partir du quatrième mouvement. C’est donc dans le « Largo des voix dans la nuit » que débute un long dialogue/duo (Péladan, 1890, p. 198-267) qui dure soixante-neuf pages. Ce procédé, dont la longueur est typique à Wagner et qui se retrouve dans tous ses opéras8, dénoue ici l’intrigue :
ELLE
Je suis lasse ; rentrons ; minuit est dépassé, et il nous faut une heure, à votre ban [sic] rameur ; et puis au lit, mon amoureux.
LUI
La voix s’est tue tout à fait dans le silence, la voix se tait aussi dans mon âme ; partagé entre cet appel fantastique et vos caresses, je me sens dédoublé ; un Tammuz voudrait vous quitter sur l’heure et trouver le corps de cette voix ; l’autre Tammuz, séduit par votre émotion si rare et d’autant précieuse, ne songe plus qu’à vous, qui seriez si divine si votre cœur battait toujours aussi fort qu’en ce moment. Permettez-moi un appel dernier vers la falaise.
ELLE
Non, Tammuz... je t’aime.
LUI
Tant que nous sommes à portée de la voix, ô lunatique. (Ibid., p. 266-267)
Cette prose symphonique est également cadencée inlassablement par le bruit de l’océan, tantôt houleux, tantôt calme, qui revient sous forme d’indications non pas scéniques ni romanesques, mais sonores : « dans l’air froidi, la voix océane devient sourde et mugissante, l’eau, plus lourdement frappe les galets, la lame se plombe au pied de la falaise. Des cris d’oiseaux inquiets percent de leur note aiguë le grandissement de la mer et de sa houle » (ibid., p. 173). En choisissant l’océan, c’est-à-dire un élément naturel en mouvement perpétuel, l’auteur évoque plus facilement, au niveau de la forme, la présence cruciale de l’orchestre9 et, par extension, de la musique puisque celle-ci est toujours mouvante. Chaque notation océanique sous-entend le jeu de l’orchestre et insinue son rythme : « Comme un fauve s’étire, la vaste mer à l’étroit en son lit déroule de longues lames énervées, et son bruit ressemble à l’ahan d’une foule, s’harmonise, rythmique et lent » (ibid., p. 31). Parfois, les sous-chapitres — dont les titres empruntent aussi à la terminologie musicale : lagnoso, toccatina, stiracchiato, lentando — sont uniquement consacrés à l’océan. Cela suggère une période exclusivement instrumentale. D’autres fois, l’océan revient au milieu de la narration pour instiller un arrière-fond sonore irréductible ou pour modifier la cadence. La mélodie océanique est alors constante sauf lorsqu’une page blanche vient à cinq reprises l’interrompre (ibid., pp. 88, 152, 192, 274 et 276). D’ailleurs, quatre de ces blancs typographiques symbolisent le silence, permettent de changer de ton et découpent Cœur en peine en cinq actes de façon à ce que la structure de cette prose symphonique demeure fidèle à celle d’un opéra. En fait, le premier blanc balise la fin du prélude et de l’andante10 (acte I) et annonce l’allegro (acte II) de même que la variation du tempo, et ainsi de suite. Le dernier blanc sert, quant à lui, à ponctuer doublement le final et à capter l’attention du lecteur.
Qui plus est, les nouvelles normes du drame musical devaient, selon Wagner, définitivement associer voix et orchestre dans un tout indivisible. En ce sens, l’orchestre de Wagner n’est plus le simple accompagnateur de l’action dramatique, il en est la matière première, le principe moteur ; la voix se fond comme un instrument à la symphonie, qui devient le support de l’expression. C’est ce qui se passe dans le roman de Péladan, où « la voix se résout dans le silence remuant » (ibid., p. 43), c’est-à-dire, par métaphore, dans l’orchestre. S’appuyant sur ce procédé, Péladan intercale de temps à autre dans la trame narrative la voix de l’héroïne avec celle de l’océan, formant de la sorte un ensemble indissociable :
Heureux qui peut orbiter à la lumière un monde, un peuple ou mieux un seul cœur, et vivre en ce cœur aimé ! consolé celui qui trouve un écho à sa voix au grand orgue de l’ambiance élémentaire ! Bêlit s’étonne de la fermeté soudaine de ses pensées ; la violence redoutable de la mer la soutient, l’affirme et flatte son malheur. L’Océan a entendu sa plainte, l’Océan l’a écoutée pleurer, et il se plaint à son tour ; il parle de sa voix indicible, le houlement [sic] de l’eau empêche l’âme de sentir ses tressaillements ! (Ibid., p. 175)
Ainsi, nous pourrions aller jusqu’à cette distinction : le discours, ci-dessus mené en style indirect libre, s’apparenterait à la voix de la chanteuse, et la narration correspondrait à l’orchestre. Parfois, les deux chantent à l’unisson, sans rupture, car « [l’héroïne] mêle sa frêle voix au rauquement de foudre de l’Océan furieux » (ibid., p. 178). Outre les indications narratives évoquant des indications sonores sur une partition comme « [l]a tonalité change sur demi-mesures, et sans transition passe d’un mode à l’autre » (ibid., p. 156), le lecteur peut aussi relever plusieurs voix narratologiques. Souvent, il ne sait plus qui prend en charge l’énoncé, qui parle et à partir de quel point de vue, car les voix énonciatives sont plutôt floues. Sur le plan musical de l’œuvre, plusieurs voix chantantes apparaissent, ce qui rapproche le texte d’un roman symphonique. L’auteur va même jusqu’à assimiler ses personnages fictifs à des instruments de musique : « le Sâr Ilov [parla avec] une voix de lyre profonde et modulante » (ibid., p. 45), ou alors il leur attribue un timbre particulier : « sa voix, grosse et cuivrée, sonne » (ibid., p. 278).
En quelques mots, « les mille épisodes de cette symphonie fantastique [qui] se succèdent » (ibid., p. 38) ressemblent formellement à un drame wagnérien. Tous les procédés structurels abondent dans le sens d’une poétique fusionnelle entre la musique et la littérature et poussent le lecteur à tendre l’oreille pour écouter en lisant cette wagnérie. Nonobstant ces expédients formels, la musicalité peut-elle aussi transparaître ou disons transpirer dans le contenu thématique?
Tout d’abord, toute une série de thèmes chers à Wagner traverse le récit de Cœur en peine et tente ainsi de rapprocher l’écrit du musical. Le Graal y court comme un motif et se fait le symbole de l’amour idéal et impossible à la fois : « l’amour fut montré possible à tous […]; qu’il soit replacé sur la cime où il habite entre le chef-d’œuvre et la sainteté : qu’on s’y prépare comme à un art, mais laissez-lui son caractère de vase précieux, de grand œuvre et de long labeur » (ibid., p. 79). Le couple invisible sur la plage est également une représentation métaphorique du couple légendaire formé par Tristan et Yseult. Au demeurant, des héros mythologiques, tels Tristan, Parsifal et Brunehilde, s’incarnent tour à tour dans les personnages romanesques. Mais, étrangement, Péladan tire le héros wagnérien vers la magie, la kabbale et l’occultisme en y faisant constamment référence. Il souhaite de la sorte prendre ses distances de la rigueur du naturalisme, tout comme Wagner cherchait à s’éloigner du réalisme, mais cette direction peut aussi témoigner d’un désir de montrer le pouvoir surnaturel, mystérieux et inexprimable de la musique. Même les Walkyries sont là : « On dirait la préparation d’un combat cosmique; les éléments se recueillent et concentrent leur force avant de vider quelque querelle héroïque. Le décor s’approprie, au passage d’une chevauchée de Valkyries, à la voix formidable d’un Wotan en courroux » (ibid., p. 173-174). Toutefois, le thème récurrent demeure celui du vaisseau fantôme — thème expressément évoqué dans le chapitre « Wagnérisme ». N’oublions pas que le « cœur en peine » du récit est celui d’une femme en quête de l’Amour, comme le Hollandais volant, juif errant de la mer, l’était d’une femme fidèle. Ce thème directeur refait surface tout au long de ce roman-poème symphonique, en notations furtives et sonores : « il revient, le terrible motif du Vaisseau Fantôme, le chœur blasphématoire des matelots maudits; et la colère déçue du Hollandais, [Bêlit] l’éprouve à ce rythme d’avirons invisibles et qui va faiblissant » (ibid., p. 268).
Ensuite, dans la préface de son Théâtre complet de Wagner, Péladan professait que sa mission sacrée était d’inaugurer une race de dramaturges wagnériens en revenant « vers la légende et le mythe » 11 (1894, p. XIV), qui seraient, selon lui, abstraits et laisseraient ouvert le champ des possibles. Son œuvre, comme en témoigne Cœur en peine, présente un panthéon de dieux hétéroclites et disparates. Un des chapitres déjà mentionné s’intitule « Le combat de Mérodack contre Tamti » (1891, p. 15) et narre cette légende kaldéenne avec des personnages divins. À la lumière de ce que nous venons d’avancer, musique, littérature et mythe12 seraient donc irréductibles les uns par rapport aux autres. Le mythe offrirait la matière idéale de représentation, aussi bien musicale que littéraire, puisqu’il permettrait au récit d’agir sur le plan de l’imaginaire. Les symboles mythiques deviendraient par là même producteurs d’images universelles, originaires aussi bien pour l’auditeur que pour le lecteur en sollicitant leur imagination :
[A]u-dessus d’eux, des oiseaux étranges, perroquets démesurés, paons énormes, volent, par groupes commandés par des phénix portant dans leur patte gauche un charbon ardent inextinguible. Sur les flancs du grand défilé, les chimères sautent en serre-file et battent des ailes. Enfin viennent les grands taureaux de Kaldée, les énormes bêtes ailées à face royale, aïeux de tout symbole. Le sol tremble sous leurs sabots, leur aile déchire l’air, et leur tiare brille de gemmes que le soleil n’éteint pas. (Ibid., p. 159)
Nous revenons ainsi à la théorie de l’instantanéité et de la spontanéité éphémère de la musique que Péladan essaie de traduire à travers le kaléidoscope du mythe : « les images arrivent successives, colorées et s’effacent avec un parfum froid, propre aux choses évaporées, aux impressions mortes, aux sensations lointaines » (ibid., p. 64). La diégèse semble fugitive. Comme la musique, elle véhicule les pensées, les fantasmes et les rend concevables une fraction de seconde, le temps d’une sensation.
Enfin, ce récit, qui est en fait en grande partie un long monologue intérieur, oblige à reconsidérer ce procédé sous l’angle de la musicalité. À cet égard, rappelons que l’auteur Édouard Dujardin, émule de Wagner, a inventé, ou du moins systématisé, le monologue intérieur dans son roman Les Lauriers sont coupés, roman que lut James Joyce avec grande attention. Dujardin, mélomane averti, rédigea et publia ensuite ses réflexions sur le monologue intérieur en se référant au leitmotiv wagnérien et à la mélodie infinie qui, selon lui, ont permis la création du monologue intérieur en littérature. D’un côté, écrit-il : « [l]e leitmotiv à l’état pur est une phrase isolée qui comporte toujours une signification émotionnelle, mais qui n’est pas reliée logiquement à celles qui précèdent et à celles qui suivent, et c’est en cela que le monologue intérieur en procède » (Dujardin, 1931, p. 55). Péladan emploie du reste des mélodies personnalisées grâce auxquelles le lecteur reconnaît personnages, situations et sentiments. Il y a, par exemple, les pronoms personnels en majuscules « ELLE » et « LUI », qui reviennent inlassablement et qui, en plus de désigner les personnages, représentent l’Homme et la Femme, de même que l’expression éponyme « cœur en peine » qui réapparaît plusieurs fois dans la narration, distillant une atmosphère triste et une impression de solitude. D’un autre côté,
[l]a grandeur du poète se mesure surtout par ce qu’il s’abstient de dire afin de nous laisser dire à nous-mêmes, en silence, ce qui est inexprimable ; mais c’est le musicien qui fait entendre clairement ce qui n’est pas dit, et la forme infaillible de son silence retentissant est la mélodie infinie13. (Wagner, 1861, p. XII)
Ce serait donc par la juxtaposition discontinue de réflexions, d’idées, de sentiments, d’impressions émergeant de ces courants intérieurs que sont la conscience et l’inconscience, que le monologue intérieur procéderait de l’écriture wagnérienne et, par voie de conséquence, de la musique. En termes de sémiotique, le monologue intérieur serait la représentation du musement. Il en résulte que Cœur en peine semble, par instants, incompréhensible, car le monologue intérieur, comme la musique, sacrifie tout au nom de l’instantanéité et, de ce fait, se débarrasse également de la causalité du récit. Dans ces circonstances, l’intrigue se résume en une suite d’introspections, d’images, de faits, d’états d’âme, telle une sorte d’envolée lyrique qui ressemble aux effets que produit la musique sur l’esprit : « rêveries sans objet, vagues tendresses, imaginations hardies […]. Désirs confus, émois sans cause, jolies tristesses » (Péladan, 1891, p. 40). Comme dans l’œuvre wagnérienne, les sentiments et le musement deviennent le sujet même du roman. La narration traduit l’affect des protagonistes. De plus, elle se veut musicale puisque « rien ne s’identifie si exactement que la musique et le sentiment » (ibid., p. 11). Comme il n’y a rien de nouveau sous le soleil de la littérature et de la musique, nous retrouvons la conception de Diderot, pour qui « [l]a vraie musique dramatique ne peut être autre chose que le cri ou le soupir de la passion noté et rythmé » (Diderot, 1986, p. 153). Toutes les émotions sont alors exacerbées, poussées jusqu’à la pureté primitive. Les héros évoluent uniquement dans ce monde de l’idéal, de l’abstrait, et par extension, de la musique. L’héroïne cherche l’amour parfait, achevé, et le protagoniste désire atteindre l’abstraction, l’inspiration épurée. Ils se déplacent presque dans un au-delà dans lequel les sentiments humains sont trop vils et trop restreints pour eux.
De cette façon, nous pouvons arguer que nous retrouvons bien le drame wagnérien et son opulence dans ce roman, et ce, à travers l’emploi de thèmes wagnériens, la richesse du vocabulaire mythologique, l’utilisation du mythe comme vecteur de l’imaginaire, la profusion d’états d’âme, de souvenirs, et l’association très libre d’événements qui se succèdent et s’enchaînent d’une manière parfois illogique. Conséquemment, le récit suscite la même impression chatoyante, fournie et parfois incohérente que procure la musique lors de l’écoute. C’est dire que cette interpénétration de thèmes caractérise ce nouveau genre péladien qu’est la wagnérie. Néanmoins, avant d’arriver à un constat définitif, nous devons nous poser une dernière question : ce texte visuel et auditif apporte-t-il de l’eau au moulin de la capacité représentative ou descriptive de la musique ?
À priori, l’histoire de Bêlit symbolise la pensée amoureuse et philosophique de l’auteur : l’homme et la femme sont en quête de l’amour idéal qu’ils ne trouveront pas, tout comme Parsifal n’atteindra pas le Graal : « la vie aussi a juré […] que jamais l’homme idéal ne se réunirait à la femme idéale ; la société a juré encore que jamais le génie ne touchera la main pleine d’or de la beauté » (ibid., p. 232-233). Elle illustre aussi sa conception très musicale du monde : l’Homme n’évolue pas dans un monde uniquement habité par des êtres humains, mais par des voix, lui-même étant une voix. Dès lors, l’Homme ne cherche pas l’amant idéal, mais la voix idéale et aspire à « répondre [en tant qu’]écho fidèle et harmonieux à un verbe » (ibid., p. 138), sinon, il « ne pou[rrait] rien jouer de la grande musique qui [est] en [lui] » (ibid., p. 247). Si nous suivons l’idée de l’auteur, l’union de deux êtres constitue la rencontre de deux ensembles de sons produits par les vibrations de deux cordes vocales, qui forment, dans ce cas précis, un seul ton. L’héroïne déclare d’ailleurs : « je joins ma voix à sa voix » (ibid., p. 253). C’est pourquoi Péladan fait de la voix une des forces élémentaires du monde, qui serait indéfectiblement liée à l’ouïe et à la perception des sons14, des sentiments et des émotions. Pourtant, à un moment du récit, « [d]eux mots ont […] plus de force que la présence caressante de la rivale » (ibid., p. 263). Comme l’auteur le sous-entend lui-même, le mot et, par extension, le Verbe sont essentiels, tout autant que la manière de les exprimer. Dans son optique, musique et littérature doivent par conséquent fusionner pour former une œuvre unique.
À fortiori, la musique semble permettre l’union mystique anima/animus, et la musicalité d’atteindre un tant soit peu « le récit à l’état pur » (Genette, 1969, p. 63). D’ailleurs, Péladan a pris soin de rendre son récit auditif en jouant avec les sonorités, les alliances de mots et la ponctuation ou son absence15. Ainsi, à certains moments, son roman s’écoute plus qu’il ne se lit ou se comprend. Nous sommes ici dans une dialectique qui se veut anti-mimétique et anti-diégétique. Le récit semble aller au-delà de cette dichotomie légendaire entre mimesis et diégèse puisque seul compte le ressenti narratif. L’auteur ne retranscrit pas la réalité, il donne à lire la réalité elle-même. Il ne raconte plus les choses, ni ne les montre, mais essaie plutôt de faire éprouver « la chose même », de la restituer dans son intégralité, dans son authenticité immédiate. D’une part, il en résulte que seules les émotions sont dépeintes avec précision. L’exemple le plus probant est situé à la fin du « Largo des voix dans la nuit », lorsque l’écho de la voix de l’héroïne véhicule sa passion et trouble le héros qui désire alors la connaître, car « c’est cette voix du cœur qui seule au cœur arrive » (Musset, 1836, p. 217). Cette conception musicale et poétique de l’existence, dans laquelle le perçu prend une place non négligeable, amène Cœur en peine aux frontières du non-récit. À maintes reprises, la narration essaie de faire sentir les choses plutôt que de les raconter ou de les représenter. D’autre part, la musicalité semble également permettre de saisir l’insaisissable en-soi en donnant vie aux voix intérieures de l’auteur, du narrateur, des personnages, dans la mesure où « [l]’être sentimental pense par image » (Péladan, 1891, p. 112). Comme la musicalité véhicule des images, elle serait non seulement l’inductrice des sentiments puisque « la musique seule par retour de notes frappées au milieu d’un contrepoint d’arabesque traduit ses stases » (id.), mais aussi la productrice de ces sentiments, car située au début et à la fin de la chaîne sémantique et émotionnelle. Péladan illustre cette conception, entre autres, lorsque l’océan, devant lequel l’héroïne se tient, devient un écran paranoïaque, une sorte d’immense tache d’encre de Rorschach sur laquelle elle projette ses fantasmes, ses images, ses obsessions, ses aspirations… et qui la pousse, malgré elle, à la méditation, à la réminiscence et à la contemplation. Grâce à l’océan, grâce à la musique, elle se sent libre d’être elle-même. C’est ce qui incite Péladan à déclarer : « [l]a liberté, c’est le droit de monter vers l’idée » (ibid., p. 93). La musicalité permettrait donc au texte littéraire de se libérer d’un carcan classique, traditionnel, conservateur afin d’atteindre l’abstrait. Cet idéal mystique se retrouve également chez le héros qui avoue à sa compagne : « après vous, il n’y a que l’abstrait » (ibid., p. 210). Dans ces conditions, la conception péladienne de la littérature est celle de la forme impeccable, comme l’est la musique, et ce, malgré la difficulté que pose une telle transposition.
À postériori, Cœur en peine permet de faire un lien supplémentaire entre musique et poésie. En effet, Péladan se serait ingénié à transcrire le langage de la pureté non déchiffrable et à rendre concret cette voix indicible et ineffable qui est au-delà du langage humain. Il a tenté de rendre perceptible « la musique des sphères16 », celle-là même qui orchestre, régit le monde et permet sa cohésion, son harmonie. Sa wagnérie serait ainsi une transposition poétique de la symphonie. Le lecteur peut y voir des fortissimo, des leitmotive, des thèmes qui s’entrecroisent, des blancs représentants des soupirs et des silences. Musique et poésie semblent indissociables, car, à l’écoute d’une musique, « tout de suite la réminiscence devient littéraire » (ibid., p. 36). Selon Mallarmé, « La musique et les lettres [il faut comprendre la poésie] sont la face alternative ici élargie vers l’obscur ; scintillante là, avec certitude, d’un phénomène, le seul, je l’appelai l’Idée! » (Mallarmé, 1945, p. 649). Musique et poésie ont alors une puissance de suggestion et de rêve inaliénable et elles se complètent l’une l’autre pour atteindre l’idéal.
Comme le désirait Wagner pour la musique, l’ambition de Péladan était de réaliser l’œuvre d’art totale en « transpos[ant] dans le roman, les procédés du poème et de la musique » (Dujardin, 1931, p. 57). Pour ce faire, il essaie de concilier plusieurs genres : la poésie, la musique, le roman, la symphonie et le théâtre d’opéra. Cet amalgame donne, et nous reprenons l’avis de Corneille à propos de sa pièce L’Illusion comique, « un estrange monstre ! » (Corneille, 1985, p. 5) ; un monstre qui tente d’atteindre cette impossible fusion des arts. Toutefois, l’intégration de procédés éminemment wagnériens à même Cœur en peine nous permet d’affirmer que ce récit peut être considéré comme une wagnérie, mais de là à dire qu’il y a une littérature wagnérienne, le pas reste difficile à franchir. Certes, la musique influence la littérature dans la mesure où elle lui permet de rendre compte d’une musicalité ou de musiquer un texte, mais aussi parce qu’elle alimente l’imaginaire de l’écrivain. Il est également indéniable que le monde est sensuel, donc, musical, et que la musique a une capacité de représentation infinie, mais aussi très subjective ; capacité que Rainer Maria Rilke illustre en ces termes :
Moi, qui comme enfant déjà étais si méfiant à l’égard de la musique (non parce qu’elle me soulevait plus violemment que tout hors de moi-même, mais parce que j’avais remarqué qu’elle ne me déposait plus où elle m’avait trouvé, mais plus bas, quelque part dans l’inachevé), je supposais cette musique sur laquelle on pouvait monter, monter, debout, très droit, de plus en plus haut, jusqu’à ce que l’on pensât que l’on pouvait être à peu près au ciel, depuis un instant déjà. (Rilke, 1966, p. 113) 17
Néanmoins, et là où le bât blesse, c’est que même si Péladan semble donner la primauté à la musique dans un premier temps, la musicalité, dans un second temps, ne demeure qu’un outil permettant à la littérarité d’essayer de transformer un texte en « un récit à l’état pur » (Genette, 1969, p. 63). Elle « est ainsi reconduite, sinon à la littérarité, du moins à la littérature » (Wanlin, 2005). En d’autres mots, nous revenons sans cesse au vieux rêve mallarméen que caressait aussi Péladan18 : « le livre dispense du Drame et doit un jour le remplacer. Il est musique […], [et] les plus hautes émotions, celles de l’Art et celles de l’Idée, c’est la poésie qui nous les dispensera, et non pas la musique! » (Mallarmé, 1945, p. 1115).
BAUDELAIRE, Charles. 1861. « Richard Wagner et Tannhäuser à Paris ». Revue européenne, 1er avril, vol. XIV, p. 460-585.
CHAMPFLEURY HUSSON, Jules. 1861. Grandes figures d’hier et d’aujourd’hui. Paris : Poulet-Malassis, 272 p.
CORNEILLE, Pierre. 1639. L’Illusion comique. Paris : F. Targa, 124 p. Réédition. 1984. Paris : A. G. Nizet, 155 p.
DIDEROT, Denis. 1821. Le Neveu de Rameau : dialogue : ouvrage posthume et inédit par Diderot. Paris : Delaunay, 262 p. Réédition. 1986. Paris : Gallimard, 428 p.
DUJARDIN, Édouard. 1887. « Les Lauriers sont coupés » (chap. 1, 2 et 3). Revue indépendante, mai, vol. 3, no. 7, p. 289-316. En ligne. http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k16488z.image.r=Revue+Ind%C3%A9pend...
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