« Monstres et poésies ». Habiter le monde par fragments expérientiels

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Le Collectif Obèle 1 regroupe des membres issu·e·s de différentes disciplines académiques (littérature, sémiologie, histoire de l’art, communications, bibliothéconomie) ayant en commun un intérêt, et un plaisir sincère, pour la littérature et le jeu vidéo, deux formes d’art que nous nous employons à unifier par des démarches variées de recherche-création comme l'installation numérique, la performance et la contribution scientifique. Les initiatives littéraires en environnements vidéoludiques pratiquées par le Collectif Obèle sont guidées par des concepts opératoires spécifiques, parmi lesquels on compte la transécriture 2 (Groensteen et Gaudreault 1998; Collectif Obèle 2022), la métarèglementation (Roy 2020) et l’interdisciplinarité3 (Diemer et Marquat 2014; Thompson Klein 2011). Jetant leur dévolu sur un jeu vidéo présentant un potentiel d’inscription textuelle, les membres du Collectif Obèle proposent des créations littéraires sur, à partir et au sein de ce jeu, dans le but d’y mettre en place une expérience qui tient à parts variables de la lecture et du jeu, visant une symbiose qui favorise la production de discours à la fois croisés et convergents.

Le présent article portera sur l’un de ces projets. Intitulé « Monstres et poésies », il est campé dans le jeu vidéo Valheim, qui sera présenté dans une première section de notre texte afin d’expliquer en quoi la création littéraire de notre projet a émergé de manière spontanée et congruente à même la jouabilité collective requise par ce jeu. Ensuite, nous nous pencherons sur le format littéraire employé pour produire les textes afin de démontrer comment la poésie fragmentaire résonne avec la matérialité numérique et spatiale qui caractérise les modalités d’insertion de ces textes. Puis, nous expliquerons les manières dont le travail d’inscription du texte dans l’espace du jeu Valheim repose sur une hybridité multimodale. Nous conclurons en abordant la double nature de la littérature pour et dans un jeu vidéo; à la fois comme discours et comme expérience.  

 

Valheim, un jeu collaboratif et communicatif

Valheim est un jeu de survie et de construction à la troisième personne dans un monde ouvert lancé en 2021 par le studio indépendant Coffee Stain. Le·a joueur·euse incarne un·e viking devant prouver sa valeur à Odin (un dieu de la mythologie scandinave) en reconquérant le monde de Valheim. Pour ce faire, il lui faut survivre dans cet environnement hostile et peuplé de créatures maléfiques, avec comme promesse finale d’accéder au Valhalla, un lieu semblable au paradis chrétien, mais dont l’entrée est réservée aux guerrier·ère·s les plus valeureux·euses. Dans ce jeu « monde ouvert » (Open World) divisé en biomes, le·a joueur·euse est appelé·e à se construire des installations, à se nourrir, à produire de l’équipement et à accumuler des ressources diverses, mais le jeu peut se montrer impitoyable, que ce soit par la lenteur et la difficulté à accumuler des ressources ou par la brutalité des monstres qui le peuplent.

Le jeu peut être joué de manière individuelle, mais il permet également à plusieurs joueur·euse·s d’évoluer dans un monde commun, généré aléatoirement au début d’une partie, accessible sur un serveur partagé. De ce fait, nous avons pu utiliser un serveur privé pour restreindre l’accès à notre monde seulement aux membres du Collectif. Ceci nous a permis d’explorer ce monde encore vierge et de donner vie à notre vision sans craindre une invasion de tiers partis humains.

Entre l’énorme quantité de tâches banales nécessaires à notre survie (bûcher, chasser, cueillir, construire une base et l’entretenir, etc.) et les altercations incessantes avec les monstres, il est rapidement devenu clair que notre performance dans le jeu bénéficierait grandement de la collaboration de tous les membres du Collectif Obèle souhaitant prendre part à notre projet. La difficulté du jeu nous a obligé·e·s à nous rassembler et à suivre la courbe d’apprentissage que celui-ci avait prévu pour nous. En effet, nous ne pouvions pas simplement construire des panneaux et des structures pour y intégrer du texte. Passer du temps à aller conquérir les différentes zones du jeu, qui sont de plus en plus hostiles, a donc été nécessaire, puisque cela permet de réduire la difficulté des affrontements avec des ennemis que nous rencontrons. De plus, en changeant de biomes, et donc de difficulté, nous nous confrontons à des ambiances inédites, à un bestiaire varié ainsi qu'à de nouveaux défis. Cela nous a mené·e·s à vivre différentes aventures qui nous ont inspiré·e·s par la suite lors de la création des textes.

L’organisation, et plus spécifiquement la communication entre les participant·e·s du projet, s’est retrouvée au cœur de notre démarche, d’abord de survivance, puis de création littéraire. Nous avons mis en place des métastratégies au fil de notre expérience, les premières étant d’abord extérieures au jeu, telle la planification des séances pour rassembler le plus grand nombre de joueur·euse·s, puis nous en avons élaboré des internes afin d’évoluer plus facilement dans cet univers hostile. Cela pouvait passer d’approches plus évidentes, comme dresser une liste de tâches à effectuer afin de mieux coordonner notre progression, à des stratégies plus spécifiques pour combattre les hordes de monstres ou les ennemis de haut niveau. Lors de la mise en œuvre de ces stratégies, il était primordial de communiquer les un·e·s avec les autres pour coordonner nos actions et mouvements et pour parvenir à vaincre l’ennemi ou pour accomplir les tâches nécessaires à la prochaine étape de notre évolution. La communication entre les membres du Collectif s’est effectuée à travers le logiciel Discord, une plateforme de messagerie instantanée permettant à la fois d’échanger en différé par voie écrite et de discuter en direct pendant nos séances de jeu en nous connectant à un serveur audio.

Ce sont ces moments d’échange en direct qui ont servi d’inspiration à la poète Laurance Ouellet-Tremblay, l’autrice attitrée à ce projet. En effet, nous avions tout d’abord invité celle-ci à une séance de jeu durant laquelle elle a eu l’occasion de visiter un parcours-test que nous avions aménagé à partir d’un poème tiré de son plus récent recueil La vie virée vraie (2022). N’étant pas une habituée des mondes vidéoludiques, il a d’abord fallu que Laurance apprenne les contrôles de base du jeu afin de pouvoir se mouvoir au sein du parcours. La nuit est cependant rapidement tombée dans le jeu et des monstres se sont mis à apparaître au sein du parcours-test, attaquant la poète et essayant de détruire nos installations. Voyant cela, celle-ci, étonnée, s’est écriée « il y a des monstres dans mon poème! », ce qui nous a inspiré le titre de notre projet.

Étant donné la difficulté du jeu lui-même et des morts fréquentes qui en découlaient, Laurance a choisi de ne pas être présente à même le jeu, mais plutôt d’assister à celui-ci à distance, via Discord. Ce logiciel, en plus de permettre la communication entre les membres du Collectif, comme mentionné précédemment, offre également la possibilité de retransmettre en direct les images du jeu. Cela a eu comme effet d’empêcher Laurance de pouvoir éprouver une expérience spatialisante du jeu; ses compétences vidéoludiques limitées l’ont tenue à l’écart de ce contact avec l’espace nécessaire pour pleinement apprécier un jeu, selon Gordon Calleja:

Players must be capable of movement, the ability to navigate space, in order to be involved with, and later internalize, the spatial dimensions of the game environment. Until players learn to move in the world, they cannot engage with its spatial dimensions. [...] Once the controls are learned and rudimentary movement and interaction no longer require conscious attention, space can be better appreciated and learned. (Calleja 2011, 170)

Toutefois, cette perte de contact pour Laurance a été astucieusement convertie en gain littéraire puisqu’elle s’est tournée vers la performance discursive au cœur de l’expérience de jeu des participant·e·s du projet. En effet, assister ainsi à nos séances à distance plutôt qu’à même le jeu a permis à Laurance de concentrer davantage son attention sur ce qui se déroulait devant ses yeux, mais surtout dans ses oreilles, soit un effort, par échanges verbaux, d’organisation des tâches et de coordination de nos actions et de commentaires variés — parfois à visée humoristique — sur les événements se déroulant au cours de notre exploration du monde de Valheim. Laurance a pris en note certaines de nos remarques et réparties et les a légèrement adaptées afin d’en faire des fragments poétiques.

Une fois les moments captés par Laurance mis en vers, les membres du Collectif Obèle souhaitant les intégrer dans le jeu en ont fait la lecture et ont ensuite choisi ceux qui seraient utilisés dans le cadre de notre projet. Ce processus éditorial se faisait de façon subjective par les participant·e·s du projet, les vers étant choisis à la fois selon les préférences personnelles, l’espace du jeu visité et la manière dont les textes résonnaient avec l’expérience vécue.

Concernant plus concrètement notre concept artistique, le matériau littéraire est lui-même fragmenté dans l’espace virtuel et installé sur plusieurs structures relativement uniformes. Valheim est considéré comme étant un jeu de type « bac à sable », ce qui signifie qu’il valorise la liberté de circulation du·e la joueur·euse dans l’espace plutôt que de forcer l’expérience de jeu dans une direction préétablie. Ce type de jeu permet également aux joueur·euse·s d'utiliser les ressources présentes dans le jeu pour se créer leurs propres objectifs et d’user de cette liberté pour s'approprier l'espace vidéoludique. L’expérience de jeu comprend la récolte de ressources dans l’univers (tel que du bois, de la pierre et des minerais) qui sont nécessaires à la fabrication d’objets et d’installations. D’ailleurs, les développeurs du studio Coffee Stain encouragent les membres de la communauté de joueur·euse·s à effectuer des constructions ambitieuses en publiant une infolettre mensuelle où sont partagées et mises en valeur des captures d’écran de bâtiments et de structures originales et spectaculaires. Cependant, malgré le fait que la créativité architecturale des joueur·euse·s soit encouragée, les constructions qui en résultent sont régies par un moteur de jeu qui limite les objets pouvant être bâtis afin de prioriser une expérience de jeu complexe sans être complètement libre. Le jeu est ainsi plus axé sur l'expérience de survie et l'ascension vers le Valhalla que sur l'expression créative.

En ce qui a trait à l’intégration des textes, nous utilisons l’élément appelé « pancarte », sur lequel il est possible d’inscrire des caractères visibles directement dans l’univers ludique. Évidemment, ces pancartes ne sont pas parfaites et présentent certains problèmes logistiques : une seule police de caractère est imposée par défaut, le nombre de caractères que l’on peut y insérer est limité, et la taille de ceux-ci est dépendante de la surface fixe fournie par la pancarte; cette taille diminue à mesure que nous augmentons la quantité de texte, ce qui a pour effet concret de nuire à la lisibilité des messages. Nous avons rapidement constaté que plusieurs pancartes étaient nécessaires pour le déploiement d’un message suffisamment riche, ce qui crée une fragmentation forcée, imposée par le jeu que nous avons sélectionné. Jean-François Lucas mentionne d’ailleurs à ce sujet, dans son article « Habiter les mondes virtuels »:

Au-delà du désir d’accéder à un espace au sein d’un monde virtuel, de l’occuper, de le personnaliser et de se l’approprier, les pratiques des individus sont dépendantes des actions qui leur sont autorisées (par le système technique, ses possibles et son système de droit), suggérées (par les repères qu’ils détectent) et générées (par les prises saisies). (Lucas 2018, 13)

Ainsi, l’environnement du jeu vidéo nous impose des contraintes techniques et spatiales qui ont des incidences sur l’approche littéraire que nous avons souhaité employer au sein de Valheim. Notre approche a donc été reconsidérée en fonction de la nécessité de s’en tenir à une forme d’expression écrite brève, pouvant tenir en une phrase de longueur moyenne. Qui plus est, nous avons remarqué durant le processus d’écriture que nos sujets provenaient des ressources utilisées et des créatures avec lesquelles nous interagissons. Ces éléments sont divisés parmi plusieurs « biomes »; ce sont des secteurs qui se démarquent autant visuellement que par leur niveau de difficulté. Nous avons donc associé les textes aux biomes qui les avaient inspirés, dans le but de les ordonner et de les disposer directement dans chaque environnement. Dans chaque biome, ces textes sont liés entre eux par un chemin constitué de lanterne de feu follet. Ce chemin fut conçu comme une « ligne de survie » plutôt qu'un corridor à suivre, fabriquant ainsi un parcours morcelé menant d’un message à un autre. Chaque biome est ensuite relié au suivant par un portail qui permet de se téléporter d'un emplacement à l'autre. Enfin, les pancartes ont été disposées sur de grandes balises en forme de double obèle, symbole de notre collectif4, formant ainsi des structures facilement repérables en raison de leur taille imposante et de leur caractère artificiel, contrastant avec les paysages naturels où elles sont disposées, tout en s’agençant surprenamment bien à l’univers scandinave de Valheim. Des pancartes sont placées sur ces balises et les mots dispersés parmi les pancartes selon nos préférences, offrant ainsi des phrases saccadées, divisées ainsi pour faire ressortir la nervosité présente dans le quotidien de nos guerrier·ère·s fictif·ve·s.

Voir : une des membres du Collectif Obèle réagit alors qu'elle se fait surprendre par un ennemi dans l'espace du jeu Valheim

La poésie comme témoignage fragmentaire

Au vu des contraintes du gameplay5 citées précédemment et du choix d'ancrer notre matière littéraire sur des supports limités situés sur un double obèle, la forme littéraire brève est apparue comme idéale pour Laurance Ouellet-Tremblay afin de composer ses vers poétiques. Le fragment littéraire peut se « définir comme une pratique esthétique mélancolique [qui] mimerait la résurrection » (Susini-Anastopoulos 1997, 53) d'une expérience vécue. Il implique une dimension ludique basée sur l'idée d'une œuvre à la compréhension énigmatique qui « rompt à sa façon avec l’aire du sens et ouvre à un autre espace, fait d’indétermination et de jeu » (58). Cet aspect résonne avec la dimension ludique des jeux vidéo, établissant le fragment comme un choix cohérent dans l’hybridation entre ce domaine et la littérature. Dans le cadre de notre projet, les fragments obéliens sont parsemés dans les différents biomes qui composent le jeu. Aucune carte ne recense l’emplacement des Obèles; toutefois, le·a visiteur·euse commence son expérience de notre projet face à plusieurs portails le·a propulsant au début d’un parcours. Une fois téléporté, iel emprunte un chemin jalonné de lanternes afin de lui indiquer la direction à suivre sur lequel iel peut rencontrer monstres et mésaventures. Les obèles se dressent sur sa route, comme des vestiges d’un temps de jeu révolu dont iel ignore tout. Iel abordera les fragments à partir de sa propre subjectivité et de son expérience du jeu. Des indices sont disséminés aux abords de l’obèle ou dans l’environnement proche pouvant aider le·a visiteur·euse à comprendre le fragment. Une communication se forme entre les membres du collectif qui mettent en scène des bribes décousues de leur expérience et la découverte de celles-ci par les visiteur·euse·s. Le texte fragmentaire « devient alors un lieu de découverte et de révélation » (Susini-Anastopoulos 1997, 100) pour ces dernier·ère·s.

Le fragment, du fait de sa forme courte, est propice à la mémorisation. Il serait impossible de retranscrire intégralement tous les dialogues échangés par les membres du Collectif au cours de nos nombreuses heures de jeu consacrées à réaliser notre projet. En réduisant ces derniers à quelques vers, le·a visiteur·euse peut plus aisément s’en imprégner. Selon Françoise Susini-Anastopoulos, les fragments « sont pratiques, peu encombrant, la mémoire les accueille, les situe, les retient et, surtout, ils ont quelque chose d’inoffensif et de rassurant. Auteur et lecteur[-rice] pensent pouvoir se les approprier » (102). Notre expérience de jeu est ainsi rendue accessible tout en constituant un rapport additionnel et inusité au sein même de Valheim. Toujours selon l’autrice, « un des plaisirs du fragment est de le collectionner, de l’assembler » (103-104) tels des objets que l’on accumule au fil des quêtes vidéoludiques. Ces bribes poétiques se présentent comme des trésors à récolter au fur et à mesure que le·a visiteur·euse parcourt les biomes de Valheim. Bien que les obèles soient disposés sur les pourtours d'un sentier délimité, le·a visiteur·euse peut choisir de quitter ce chemin ou de se cantonner à un certain biome. Ainsi iel choisit ou non de mener à bien cette quête et de posséder toutes les bribes de l'expérience du Collectif Obèle.

Guofan Xiong et Chu-Yin Chen effectuent un lien entre le fragment littéraire et les jeux vidéo à travers la notion de « vignette » qu’ils définissent comme « une description ou un compte rendu bref, indéfini et évocateur d’une personne ou d’une situation » (2021, par. 26). Autrement dit, la vignette est un texte bref, une image poétique qui « condense un “esprit du temps” dans un lieu spatial » (2021, par. 24), c'est-à-dire respectivement la littérature et une expérience visuelle. La vignette littéraire apporte un complément de sens à un élément précis et n'a pas pour finalité de faire avancer l'intrigue. Son rôle est principalement poétique. Elle s'attarde sur la représentation subjective d'un environnement et d'une expérience. Dans les jeux vidéo, la vignette peut correspondre à des cinématiques sur le passé des personnages, à des dialogues au second plan entre deux PNJ6 ou à tout élément visuel et textuel qui apporte un complément d'information sur le lore7 de l'univers d'un jeu. Par exemple, dans le jeu The Legend of Zelda: Breath of the Wild, la prise de photographies invite le joueur à sortir de son expérience immédiate de jeu pour contempler un lieu et plonger dans les souvenirs de Zelda. Les deux auteurs précisent que certains jeux vidéo dépourvus de narration usent de la vignette pour

immerger le lecteur dans une situation très spéciale, qui lui fait ressentir l’émotion transmise par la poésie : c’est l’instant capturé par le poète. Par ailleurs, elle engendre également un environnement issu de l’espace décrit, un univers qui regroupe tous les éléments visuels et symboliques portés par l’expérience poétique. (Xiong et Chen 2021, par. 29)

Nos obèles interagissent avec leur environnement et témoignent de notre expérience. Chaque fragment renvoie à un échange oral, un instant choisi et embelli par Laurance Ouellet-Tremblay. Xiong et Chen précisent que la compréhension de l’élément, du fragment passe par l’observation de l’environnement à proximité de celui-ci, comme c’est le cas pour certains de nos obèles. Le fait que le jeu Valheim soit un jeu dit « bac à sable » encourageant l’imagination et l’expression artistique permet à le·a visiteur·euse d'exprimer sa subjectivité créatrice tout en concevant une interaction avec l’environnement du jeu. Selon Guofan Xiong et Chu-Yin Chen

les jeux vidéo pourraient non seulement se concentrer sur la simulation réaliste des expériences, mais ils pourraient également offrir des visions métaphoriques d’idées, être capables de représenter la vérité subjective et l’individualité de leur créateur, tout en capturant ses sensibilités et ses intentions. Les jeux vidéo devraient alors créer des systèmes et des mondes qui invitent les joueurs à l’introspection, à progresser dans la compréhension et les idées sous-jacentes au gameplay. (2021, par. 35)

Qui plus est, grâce à la démarche du Collectif Obèle, il est envisageable d’employer les environnements proposés par les créateur.rice.s de jeux vidéo afin d’y inscrire les traces de nos propres subjectivités, puisque l’insertion de vers sur des panneaux accrochés à de doubles obèles, fragments de notre expérience, prend racine dans le gameplay et joue avec les libertés fournies par le jeu. « L’idée est d’utiliser le système de jeu pour présenter une expérience poétique des souvenirs » (Xiong et Chen 2021, par. 38); dans le cadre de notre projet, cette dimension poétique est exprimée par la mise en place d’obèles qui commémorent notre expérience ludique.

Le fragment est un « bris de miroir où l’écrivain, amusé, intrigué, flatté ou atterré, saisit au vol une parcelle de son être psychique ou purement mental » (Susini-Anastopoulos 1997, 241-242). Nos bribes poétiques comportent un double reflet : celui des membres du Collectif jouant à Valheim et celui de l’autrice écoutant leurs conversations en les regardant jouer en direct. Le texte résultant de cette démarche découle donc des impressions subjectives que porte Laurance Ouellet-Tremblay sur l’expérience vécue par les membres du Collectif. Le fragment, selon Françoise Susini-Anastopoulos, témoigne de l’auteur, de ses états d’esprit et de son affect (1997, 236). En sélectionnant certains fragments composés par Ouellet-Tremblay afin de les disposer en parcours littéraires dans les différents biomes de Valheim, les participant·e·s au projet ont exercé sur des marqueurs de leur propre expérience un regard critique, jugeant une seconde fois ce qui valait la peine d’être transmis. La fragmentation littéraire permet « de remettre l’auteur du texte fragmenté dans la dynamique de la création littéraire » (Rabau 2002, par. 23) tout en définissant tous les aspects de la « future relique textuelle » (2002, par. 24). Dans le cadre du projet « Monstres et Poésies », les fragments littéraires replongent les membres du Collectif Obèle dans leur phase d'expérimentation et de création. Ils renvoient également à l'acte créateur de Laurance Ouellet-Tremblay qui a retranscrit et adapté des passages précis de l’expérience des membres. Le fragment comporte donc une partie de l’autrice et des participant·e·s qui est vouée à être exposée sans fioritures et avec l’idée d’être conservée pour la postérité, devenant un élément autoréférentiel.

L’usage de la forme fragmentaire est en soi un acte vers la préservation de l’essentiel. Selon Sophie Rabau,

l’écriture fragmentaire n’est pas seulement l’expression d’un goût pour le silence, la discontinuité, ou une manière de privilégier l’évocation à la description, mais plutôt, sous un autre angle, une manière de maîtriser par avance la perte que suppose le dépôt d’un texte dans l’histoire. Écrire par fragments, cela serait opérer soi-même et par avance une sélection sur une totalité déjà perdue et que nul ne connaîtra jamais. (2021, par. 30)

Suivant cette idée, en sélectionnant au préalable les parcelles de nos propos, Laurance Ouellet-Tremblay anticipe la dimension éphémère de notre expérience ludique et l'inscrit par l’intermédiaire de ses vers, dans le temps. Un rapport est fréquemment établi chez les auteur·trice·s fragmentaires entre la brièveté et la survie, comme si un texte court serait moins vulnérable à l’oubli et au temps (Susini-Anastopoulos 1997, 125). Selon Sophie Rabau, l’écriture fragmentaire consiste à inclure, dès la conception d’un texte, l’emprise du temps sur ce dernier, donnant ainsi aux fragments « la valeur de restes comme sauvés du naufrage du temps » (2021, par. 2). Ces bribes rescapées prennent alors l’allure de trésors à chérir, ce qui participe à en augmenter leur appréciation. L’usage même du terme « fragment » contient en germe l’idée d'une totalité initiale depuis perdue et décomposée en morceaux.

La mise en forme des fragments soutient l’idée d’un ensemble brisé. Le choix de représenter les bribes poétiques sur des structures en bois, donc soumises à l’action du temps, en forme de doubles obèles, n’est pas anodin. Cela ancre les fragments dans un espace virtuel précis, témoin d’un passage et d’une expérience en ces lieux. Sophie Rabau écrit que les fragments « prennent la valeur d’un monument perdu auquel il nous faut accéder par ses seules ruines » (2021, par. 22). Dans le cas de Valheim, le temps de jeu investi et l’expérience partagée se matérialisent sous la forme de l’obèle solitaire qui se dégrade au fil du temps et des conditions météorologiques. Construites en bois, les obèles doivent faire l’objet d’un entretien pour ne pas tomber en ruines sous l'action du temps ou la main des monstres et disparaître. Les membres du Collectif Obèle préservent les stèles qui constituent le cimetière de leur expérience8.

Voir : la captation vidéo d'un des parcours ayant résulté du projet « Monstres et Poésie »

L’expérience du jeu au filtre de notre discours

Cette fragmentation prend donc racine au sein même de notre expérience de jeu, ainsi que dans le processus et la démarche d’intégration de cette forme littéraire dans le média vidéoludique. Comme mentionné précédemment, n’ayant pas un contrôle absolu sur ce dernier, en l'occurrence à la fois sur le passage du temps dans Valheim et sur les monstres qui envahissent nos installations, cela nous a mené·e·s à repenser cette dynamique de l’incontrôlable comme faisant partie intégrante de notre expérience de jeu. Comme le mentionne Celia Pearce dans son ouvrage Communities of Play: Emergent Cultures in Multiplayer Games and Virtual Worlds :

Players in virtual worlds are essentially playing in and with space, and, in many respects, the space is also playing with them. Thus, inhabiting virtual worlds requires what I term « spatial literacy » (Pearce, 2008a). I define spatial literacy, like other forms of media literacy, as the ability to both « read » and « write » in the language of spatial communication and spatial narrative. (2009, 20)

Il nous a donc fallu comprendre et ensuite nous adapter aux règles du jeu afin de nous-mêmes pouvoir créer à partir de celles-ci. Ainsi, au lieu d’intégrer notre expérience de jeu via des structures préexistantes en tentant de mettre complètement à notre main l’environnement dans lequel nous travaillons, à la manière d’une greffe artificielle dont le résultat aurait été loin d’être harmonieux, nous avons repensé cette intégration de façon plus globale et se voulant aussi organique que possible. En ce sens, et puisque nous opérons des transformations physiques des lieux que nous investissons, notre approche pourrait être décrite comme un croisement entre le Land art numérique et la littérature géolocalisée9 en voulant créer des installations artistiques intégrées à même des espaces préexistants.

Cette façon de réfléchir nos bribes d’expérience vidéoludique à travers l’interprétation littéraire que Laurance Ouellet-Tremblay en a faite n’était cependant pas sans conséquence. En effet, rien dans ce jeu ne nous invitait ou ne nous contraignait à reconstituer et à intégrer notre expérience de celui-ci en son sein. Il s’agit en réalité d’une contrainte littéraire et vidéoludique que nous nous sommes nous-mêmes imposé·e·s, d’une « métaréglementation ». La métaréglementation peut se définir comme « l’ensemble des pratiques contraignantes, volontairement effectuées par le joueur qui désire s’approprier et modifier une œuvre [vidéoludique] à la suite d’une réflexion sur sa nature, et ce, afin d’en tirer une satisfaction personnelle » (Roy 2020, 2). Ainsi, à force de réfléchir au potentiel de ce jeu et à la manière dont nous vivions nos expériences, nous avons commencé à parcourir ce monde virtuel en cherchant systématiquement des lieux et des événements propices à nos intégrations, allant parfois jusqu’à provoquer l’apparition d’événements spécifiques (par exemple des affrontements contre certains monstres plus puissants ou boss de biome) afin de les immortaliser dans notre parcours. Bien que nous avions ce biais dès le départ en sélectionnant ce jeu pour le potentiel d’intégration textuelle qu’il possédait, c’est vraiment au fur et à mesure des expériences vécues au sein de Valheim et à la suite de la réification de celles-ci en fragments littéraires par Laurance Ouellet-Tremblay que notre vision à la fois du jeu lui-même et des séances que nous faisions au sein de celui-ci a été altérée.

Ainsi, de la même manière dont nous collectionnons les fragments d’expérience au sein de l'espace virtuel qu’est Valheim, nous nous sommes mis·e·s à collecter les lieux, tels les visas tamponnés dans un passeport afin de cataloguer nos pérégrinations et reconstituer notre expérience de jeu à la fois dans le temps et dans l’espace, à travers les obèles disséminés sur le territoire et les textes qui y sont accrochés. En parcourant une nouvelle fois ce territoire à la recherche d’un lieu propice à nos installations, nous réactivions du même coup la mémoire intrinsèque des lieux précédemment parcourus. Cette couche sémantique qu'ajoutent les vers créés par Laurance et intégrés au sein du jeu nous a donc mené·e·s à réinterpréter la manière dont nous jouions à Valheim à travers le prisme de la réalité fragmentaire que nous nous imposions à nous-mêmes en cours de partie. Les gestes successifs de sélectionner les sites d’emplacement des obèles, de construire celles-ci en leur donnant des orientations particulières (parfois déterminées par la trajectoire du soleil afin d’en maximiser la lisibilité) et de les relier par des tracés au sol participent pleinement à la démarche d’écriture de notre projet. À la manière de « l’habitant-aménageur », qui « saisit les prises qui lui sont offertes et qu’il fait émerger pour agir sur l’environnement et confectionner un intérieur en modifiant par exemple son agencement et son habillage » (Lucas 2018, 11), et de « l’habitant-bâtisseur », « un utilisateur qui agit sur l’intérieur et l’extérieur de son habitat-centre [et qui] renforce son “emprise” sur ce lieu, notamment parce que l’ancrage structurel qui peut le caractériser devient une trace architecturale reconnaissable et identifiable par tout le monde », nous produisons ainsi un univers d’expériences qui conditionnent notre rapport au monde à travers nos fragments (2018, 11).

Voir : la captation vidéo d'un des parcours ayant résulté du projet « Monstres et Poésie » :

Une autre perspective

Réexploration de la mémoire des expériences de jeu des membres du Collectif Obèle au cœur de Valheim, « Monstres et poésies » a pris une autre dimension d’abord pendant le passage du Collectif au 90e congrès de l’ACFAS10, puis lors de la soirée après-colloque ÉlectroLitt Théorie et pratique de la littérature numérique11, organisée par Rhizome, événements ayant eu lieu tous deux au mois de mai 2023. Le territoire numérique que nous avons investi et dont l’accès était jusqu’alors exclusif aux membres du Collectif a accueilli ses premier·ère·s visiteur·euse·s pour des explorations individuelles guidées. Les volontaires étaient invité·e·s à emprunter l’avatar aguerri de l’un·e des membres, puis à se promener dans les différents parcours poétiques aménagés dans le jeu tout en étant protégé·e·s par un·e guide, un·e membre du Collectif contrôlant son propre avatar. Le parcours ainsi testé a éventuellement dû être balisé de nouveau et ajusté pour contrer la désorientation des non-initié·e·s à la chose vidéoludique. Les visiteur·euse·s, en plus de réactiver à la fois l’expérience de jeu d’un lieu donné et son réinvestissement par l’assemblage des obèles, ont participé à une réécriture de la mémoire en interagissant avec les parcours de manière désordonnée et inattendue.

Les obèles, stèles commémoratives de l'expérience de jeu du Collectif, deviennent ainsi le lieu d'accueil de l'imprégnation et de la communion des visiteur·euse·s avec les membres du Collectif Obèle. En explorant nos parcours, en collectant nos fragments, le·a joueur·euse devient un·e créateur·trice dont la propre pratique du jeu agrémente celle qu'iel expérimente en traversant nos parcours littéraires. Les obèles comportent alors une nouvelle dimension mémorielle qui n'a, pour le moment, laissé aucune trace inscrite par les visiteur·euse·s. Cette dimension mémorielle amplifie l'aspect brisé et incomplet des fragments littéraires qui composent nos obèles, en renvoyant à des éléments oubliés et perdus.

Logiquement, l’étape subséquente à l’ouverture — dirigée — de notre projet au public dans le cadre des deux événements de mai 2023 serait d’abolir le caractère privé de notre serveur. Cela reviendrait à ouvrir notre expérience poétique au grand public, et plus précisément à des adeptes de Valheim, et à accepter la possibilité de voir ces nouveaux·elles arrivant·e·s écrire (littéralement et/ou spatialement) leur propre expérience et possiblement désécrire la nôtre, par exemple en s’adonnant à du vandalisme au sein de notre serveur. En plus du passage du temps, le passage répété et non contrôlé de joueur·euse·s-visiteur·euse·s pourrait mener à la déformation, voire à l’effacement de notre propos, des traces de notre expérience. Procéder à la grande ouverture de notre monde reviendrait à accepter que notre mémoire soit fragmentée de nouveau et possiblement détournée par et dans l’expérience d’un.e autre.

Cela dit, le projet « Monstres et poésies », ainsi que la présente réflexion qui en a découlé, n’est possible que parce que la nature même des jeux vidéo, espaces virtuels qui permettent l’interaction, laisse place à ces échanges. Nous pouvons habiter le jeu vidéo, plus que cela n’est possible avec bien d’autres médias.

Paradoxalement, alors qu’il ne possède pas le lieu qu’il occupe par la présence de son avatar, il peut être « possédé par lui ». Ainsi, par la répétition de l’ancrage corporel de leur avatar en un même lieu (habitude), certains individus développeront le sentiment de loger, voire d’habiter dans un lieu qu’ils ne possèdent pas, et au sein duquel ils ne peuvent pas se répandre. En un sens, l’habitant-opportuniste est plus habité par le lieu qu’il ne l’habite. En revanche, cet ancrage corporel et affectif reste précaire, car soumis à l’accord d’un tiers qui peut choisir à tout moment de restreindre l’accès au lieu qu’il partage. (Lucas 2018, 10)

Comme le mentionne Lucas, le lien qui s’établit entre le·a visiteur·euse et les espaces vidéoludiques qu’iel visite est fragile et ne tient qu’à la bonne volonté de ceux et celles qui en gèrent l’accès. Bien que nous soyons les gestionnaires de notre serveur, nos installations sont également dépendantes des développeurs du jeu et de l’éventuelle obsolescence du matériel informatique. Notre projet, tout comme Valheim, n’a pas de garantie d’immortalité.

 

Bibliographie

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Pour citer cet article: 

Collectif Obèle. 2023. « "Monstres et poésies". Habiter le monde par fragments expérientiels », Postures, Dossier « Bribes : la littérature en fragments », no. 38, En ligne <http://www.revuepostures.com/fr/articles/obèle-38> (Consulté le xx / xx/ xxxx)